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« En arrivant dans la maison, ils s’empressèrent de tâter — le bras et la tête de la veuve, et ils la trouvèrent très malade. — « Il faut la saigner, » dit l’un d’eux. — a Vous êtes un âne; vous ne savez rien du tout,

« Lui répondit le second : elle serait morte avant la nuit, — si vous lui tiriez une seule goutte de sang. Ne voyez-vous pas — que ses pieds sont glacés?» « Laissez-moi en paix à l’instant! — Elle a le feu à la tête, mettez votre main sur son front! »

« Je dis qu’il faut lui donner de l’eau chaude. » « Et moi qu’il faut la saigner! » — « Ni eau chaude, ni saignée! car sachez bien — que ce serait tuer la pauvre femme que de faire comme vous dites : — elle a le choléra, croyez-m’en si vous voulez, »

« Dit le troisième. « Comment! le choléra? » — « Oui, vous êtes deux ânes, et vous ne savez rien! — La femme mourra sûrement, si elle prend votre remède !» — « Eh bien ! qu’elle meure plutôt que de vous écouter! »

« Et ils criaient tous les trois, et ils frappaient du pied, — et leurs yeux étaient rouges comme le sang. — Et pendant ce temps-là la pauvre femme, semblable à un cadavre, — ne parlait ni ne bougeait; elle allait mourir.

« Son fils était là qui écoutait, le cœur navré, — et il dit alors aux médecins : « Peu importe le remède, — pourvu que ma mère soit guérie; — mais, au nom de Dieu, hâtez-vous! »

« Mais ils ne purent tomber d’accord — ni sur la maladie, ni sur le remède, — et alors le fils leur dit : « Allez au diable! — Moi, je guérirai ma mère, et vous, vous la tueriez sûrement! »

« Et il se jeta sur le corps refroidi de sa mère, — embrassant ses pieds, ses mains et son visage; — il répandit de vraies larmes d’amour, — et il rappela sa mère à la santé, à la vie.

« Écoutez! Cette mère qui est dangereusement malade, — avec des blessures épouvantables, c’est notre mère la France, — et les médecins qui ont été appelés pour la soigner — la conduiront à la mort, s’ils n’y prennent bien garde.

« O mes chers compatriotes, croyez-moi, pour soulager la douleur — et les maux d’une mère, le meilleur remède, — c’est de l’aimer. Soyons donc unis — dans l’amour de la patrie, et elle sera encore sauvée[1]. »


Ces extraits ont montré mieux que ne l’eût fait un commentaire le caractère véritable de la poésie bretonne contemporaine. L’inspiration en est pure, et la pensée souvent élevée; le patriotisme du poète a pour point de départ la Bretagne et sa foi, mais il s’étend à

  1. Le texte original de cette pièce a été publié dans le Lannionnais du 29 juillet, et reproduit dans le dernier n° de la Revue celtique.