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Unis on écrivait une histoire complète des donations faites à l’enseignement, rien ne serait plus honorable pour l’Amérique, plus instructif pour l’Europe[1]. M. James Garfield estime que le total de ces donations s’élève à 50 millions de dollars ou 250 millions de francs.


III.

Les Américains obtiennent-ils des résultats proportionnés aux immenses sacrifices qu’ils s’imposent pour l’enseignement avec une libéralité sans cesse croissante? Ils ne le pensent pas. Suivant eux, il y a encore beaucoup à faire et à réformer avant qu’on n’atteigne le but. Le premier mal signalé est ce qu’ils appellent l’absentéisme, c’est-à-dire le nombre considérable d’enfans en âge d’école qui ne reçoivent aucune instruction. On affirmait autrefois que parmi les citoyens de l’Union de descendance américaine il ne s’en trouvait pas qui ne sût lire et écrire. En effet, le Yankee appréciait trop bien l’utilité de l’instruction pour en priver ses enfans; mais les Irlandais pauvres qui arrivent chaque année par centaines de mille n’éprouvent pas le besoin de s’instruire, précisément parce qu’ils sont très ignorans, et par suite chaque année l’absentéisme prend des proportions plus alarmantes[2].

  1. Certains faits sont touchans. Voici par exemple comment s’est fondée l’école supérieure (seminary) de Monticello. Godfrey, — un ancien marin qui a fait deux fois naufrage et refait deux fois sa fortune, — s’est marié et a des enfans. Un jour qu’il cause avec sa femme, sa petite-fille répète sans le comprendre tout ce qu’elle entend dire. « Voyez, dit la mère, combien les premières impressions sont vives; tout dépend de là. Si les mères étaient instruites et vertueuses, les générations futures le seraient aussi. » Cette idée s’empare de l’esprit de Godfrey et en fait un apôtre. La foi du chrétien et l’ardeur du philanthrope ne lui laissent plus de repos. Il veut fonder une école modèle. Il prend d’al)ord sur sa fortune, qui n’est pas énorme, 250,000 francs, quoiqu’il ait plusieurs enfans; puis sa femme et lui collectent le reste, et le Seminary de Monticello est fondé.
  2. Voici quelques données à ce sujet. M. Wickersham, surintendant des écoles de la Pensylvanie, dans son rapport de 1869, estime que dans cet état 75,000 enfans ne fréquentent pas l’école, dont 11,000 pour Philadelphie seulement. M. Northrop, surintendant du Connecticut, dit qu’un quart des enfans ne se fait pas inscrire, et en outre la fréquentation est très irrégulière; cependant, depuis que la gratuité a été établie, il y a une amélioration notable. Dans l’Illinois, dit le surintendant, M. Newton Bateman (1869), la fréquentation est très irrégulière : sur 706,780 enfans inscrits, il n’y a de présens en moyenne qu’environ 300,000. Dans l’Ohio, le rapport de M. Henkle signale une liste de présence journalière de 434,865 enfans sur 740,000 inscrits. A New-York, le surintendant, M. Randall, estimait aussi que la liste de présence ne dépassait pas la moitié du nombre inscrit. En 1865, on comptait sur 100 inscrits 80 présens dans le Massachusetts, 78 dans Rhode-Island, 72 dans le Connecticut, 64 en Pensylvanie, 57 dans l’Ohio, moyenne 70, et dans les villes de Boston 91, New-Haven 71, Cincinnati 64, Saint-Louis 58, Chicago 47, New-York 40, moyenne 58.