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quitté les affaires avant de rien mener à terme. L’Angleterre, en ce moment, croit devoir réorganiser son armée ; elle n’aboutit à rien de sérieux, pas même à abolir l’achat des grades. L’expérience prouve donc qu’un bon ministre soutenu par un souverain éclairé peut faire beaucoup plus de bien sous un régime despotique que sous un régime parlementaire. Ce n’est pas une raison pour préférer le despotisme, qui maintient les peuples dans l’enfance ou qui les corrompt et les énerve ; mais c’est un motif pour chercher s’il n’y a pas moyen, sous le régime parlementaire, d’introduire dans la direction de certains services publics l’esprit de suite qui y est indispensable. Ce moyen nous est à peu près indiqué par ce qui se fait dans les états de l’Union américaine. La plupart des chefs de service ne sont pas des ministres sortant du jeu des majorités dans les chambres ; ce sont des hommes spéciaux, élus les uns par le peuple directement, les autres par le parlement. En Europe, il faudrait faire nommer par la chambre haute, d’accord avec le président, les chefs du département de la guerre, des travaux publics et de l’instruction publique ; ils resteraient en fonction jusqu’à révocation et seraient responsables devant le parlement ; ils ne prendraient point part aux débats parlementaires de tous les jours, mais une fois par an ils viendraient défendre leur budget. Dans les états de l’Union, ce régime, quoique des élections populaires trop fréquentes y aient imprimé une excessive mobilité, a néanmoins amené à la direction des principaux services des hommes spéciaux qui ont fait d’excellentes choses.

En Europe, plusieurs avantages résulteraient de ce système. D’abord les fluctuations des majorités parlementaires et les incessans changemens des ministères cesseraient de mettre obstacle à toute réforme de longue haleine, et les institutions libres pourraient employer à la direction de leurs affaires autant d’esprit de suite et de connaissances spéciales que le fait parfois le despotisme. En second lieu, les chefs de service élus, n’ayant pas à prendre part aux débats parlementaires, pourraient consacrer tout leur temps à l’étude des graves intérêts qui leur sont confiés, et cependant ils seraient responsables devant les représentans du peuple, condition essentielle du gouvernement représentatif. Enfin on romprait cette effrayante concentration de pouvoirs qui, quelque nom que porte l’état, république ou monarchie, est toujours le despotisme. En France, le chef du pouvoir exécutif tient dans ses mains directement ou indirectement plus de six cent mille fonctionnaires ; il nomme partout, dans l’armée, dans la marine, dans le corps judiciaire, dans les ponts et chaussées, dans l’administration des finances et du fisc, dans les administrations locales. Peut-on laisser une puissance aussi