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monarchie contre la liberté ? » Non ; il faut voir là un symptôme malheureusement trop sérieux de la maladie qui afflige le temps présent, un acte très réfléchi du matérialisme qui se couvre du manteau de la libre pensée, et qui, pour cheminer dans les bas-fonds sociaux, invoque les souvenirs révolutionnaires de 1793. Il y a quelque temps, on était simplement libre penseur; aujourd’hui l’on écrit froidement, une heure avant de marcher à la mort : « Je suis matérialiste. » Le condamné a révélé dans ce moment suprême l’un des mots d’ordre de la commune.

Il n’est pas sans intérêt de marquer ici les phases par lesquelles a passé l’esprit révolutionnaire dans ses rapports avec la religion. Les hommes de 1793 avaient aboli le culte catholique et persécuté les prêtres, mais ils ne prétendaient pas supprimer l’idée religieuse, ni même le culte, qui est l’expression et le signe de toute religion. Ils croyaient à l’Être suprême, ils honoraient la déesse Raison, ils célébraient des jours de fête. La révolution de 1830, accomplie par les classes moyennes, respecta la religion et s’abstint de persécuter le clergé, bien que ce dernier se fût associé très intimement à la politique du régime qui venait de tomber. En 1848, non-seulement la religion et le clergé furent à l’abri des attaques de la révolution populaire, mais encore l’on vit les vainqueurs de février demander respectueusement aux prêtres la bénédiction des arbres de la liberté. Après la révolution de 1870, les sentimens sont tout autres : le peuple vise aux prêtres; la commune, maîtresse de Paris, envahit les églises, décroche les crucifix dans les écoles, et pour comble fusille l’archevêque, alors que dans les principales villes de province, où la démocratie domine les conseils électifs, une ardente campagne est engagée contre l’enseignement religieux. Bien que le clergé se fût montré favorable au coup d’état de 1851, l’on ne saurait dire que pendant les dernières années de l’empire, sous l’influence des affaires de Rome, son attitude fût plus bienveillante envers le régime déchu qu’elle ne l’avait été envers la monarchie de juillet. Ce n’était donc pas un sentiment de rancune ou de vengeance politique qui déchaînait contre la religion et ses ministres les colères de la dernière révolution. Cette hostilité tout à fait systématique remonte plus haut, et tient à des causes plus profondes.

En étudiant l’origine et les progrès du mouvement socialiste en Europe, l’on observe que les premières prédications sont parties de l’Allemagne et de la Suisse. Dès 1840, la jeune Allemagne, qui avait établi ses quartiers-généraux à l’abri de l’hospitalité helvétique, inscrivait dans son programme l’athéisme pur et simple. Ses doctrinaires avaient compris que le socialisme rencontrerait dans l’idée