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de Tacite, bien que certains vestiges et peut-être même certains fragmens nous en soient conservés, dans l’Histoire sacrée de Sulpice Sévère par exemple, au second livre de laquelle un récit sur le motif de la ruine du temple de Jérusalem peut avoir été emprunté à la portion perdue du cinquième livre des Histoires, ou bien dans l’Histoire du monde de Paul Orose, où deux chapitres du septième livre paraissent offrir de pures citations de morceaux perdus également. Tacite s’est trouvé placé au terme final de cette période de la littérature latine qu’on a appelée l’âge d’argent. Il n’y a plus rien d’éminent après lui, à vrai dire. Les lettres latines païennes n’offrent plus ni style ni pensée; elles se traînent sans inspiration à travers la série des panégyristes, des rhéteurs, et des chroniqueurs tels que ceux de l’Histoire auguste. Quant à la littérature chrétienne, elle doit, au service d’autres sentimens et d’autres idées, se forger dans la lutte une langue fort différente de celle de l’antiquité classique. Autant de raisons pour que l’œuvre de Tacite ait été promptement menacée de l’oubli. Un empereur qui se disait son descendant avait ordonné, au IIIe siècle, qu’on exécutât tous les ans dix copies de ses ouvrages; mais il ne régna que six mois, et son ordonnance nous témoigne peut-être du trop petit nombre de manuscrits de notre auteur subsistant dès cette époque.

Pour ce qui est de la Germanie en particulier, bien que ce livre intéressât si fort l’avenir, il était de nature à demeurer fermé aux rhéteurs inintelligens et aux chrétiens défavorablement prévenus. On n’en trouve nulle trace jusqu’au VIe siècle, car l’on ne voit pas dans ce qui nous reste d’Ammien Marcellin la preuve formelle qu’il l’ait connu et mis à profit, ce qui a lieu d’étonner. Jornandès, l’historien des Goths, offre le premier quelques expressions qui en sont évidemment tirées. Vers le même temps à peu près, dans le précieux recueil de lettres dû aux soins de Cassiodore, secrétaire de Théodoric, roi des Ost-Goths, il y a une réponse de ce roi au peuple des Estyens, qui, des bords de la Baltique, lui avait envoyé une certaine quantité d’ambre. L’occasion était belle pour citer Tacite, qui précisément dans un des plus curieux chapitres de la Germanie, à propos de ce même peuple, a retracé l’histoire de l’ambre. Théodoric n’y a pas manqué : il rappelle aux Estyens cette page qui pouvait passer pour leur titre de gloire, et il emprunte les paroles mêmes de l’écrivain latin, qu’il sait fort bien désigner par son nom; mais après cela les ténèbres recommencent pour trois cents ans, jusqu’à la fin du IXe siècle, où le moine Rudolf, que nous avons vu se servir pour la composition des annales de Fulde de l’un des deux manuscrits conservés aujourd’hui à Florence, met à profit également un manuscrit de la Germanie pour attribuer aux Saxons dans son récit de la Translation de saint Alexandre les mœurs que