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diocre. On ferait une œuvre curieuse et utile en retraçant, comme on l’a fait pour les arts, la série chronologique des découvertes qui nous ont remis en possession, du XIVe au XVe siècle, des chefs-d’œuvre littéraires de l’antiquité classique. Un tel travail, accompagné du récit des circonstances et appuyé sur une étude sérieuse des manuscrits, racontant à la fois le zèle des recherches, et appréciant la valeur des résultats successivement obtenus, n’existe pas. Le livre de M. Botfield, donnant les préfaces de chaque édition princeps, n’en tient pas lieu.

Le temps nous a ravi, on le sait, une notable partie de l’œuvre de Tacite. Ses Annales et ses Histoires comprenaient, probablement en trente livres, la période de quatre-vingt-deux ans entre la mort d’Auguste et celle de Domitien. De ce grand ensemble, nous n’avons plus aujourd’hui que dix-sept livres, représentant quarante-quatre années. C’est donc la moitié de l’œuvre totale, peu s’en faut, que nous avons perdue. Ce qu’eût été cependant le récit d’un Tacite sur le règne d’un Caligula ou d’un Domitien, nous pouvons le conjecturer d’après son Tibère et son Néron. Encore est-ce merveille que ces précieux débris aient été finalement sauvés. Abandonnés à un profond oubli pendant le temps le plus ténébreux du moyen âge, pourrissant alors dans l’ombre dei cloîtres, ils n’ont subsisté, en deux fractions, que grâce à une seule copie pour chacune de ces fractions. La Bibliothèque Laurentienne de Florence possède aujourd’hui ces deux précieux manuscrits, d’où procèdent tous les autres. L’un de ces manuscrits, qui contient les livres XI-XVI des Annales et I-V des Histoires, c’est-à-dire la seconde moitié du règne de Claude, celui de Néron sauf deux années, les règnes de Galba, Othon, Vitellius, et le commencement de Vespasien, paraît dater du XIe siècle et avoir été alors l’unique source des autres copies, dont deux sont du XIVe siècle. Connu des humanistes dès les premiers temps de la renaissance, il a été imprimé en 1470 par Vindelin, de Spire. Le second manuscrit de Florence contient les cinq ou, suivant la division de Juste Lipse, adoptée aujourd’hui, les six premiers livres des Annales. Il date du IXe siècle ; il appartenait alors au couvent de Fulde, où le moine Rudolf en a tiré, en nommant Tacite, une indication géographique pour les annales de son abbaye. Apporté à Rome en 1508, il fut acheté par le cardinal Médicis, bientôt Léon X, qui le fit imprimer par Béroald le jeune en 1515. Ce n’était rien moins que l’admirable récit de presque tout le règne de Tibère. L’imprimerie, découverte au moment où les chefs-d’œuvre mutilés et fragiles de l’antiquité classique sortaient de leurs tombeaux, commençait heureusement de les disputer à une destruction sans cela inévitable. Nulle fortune nouvelle n’est venue depuis nous rendre d’autres pages de la grande œuvre historique