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toujours loisible aux gens de bien de souhaiter pour leur pays quelque progrès moral. On se prend à regretter telle institution, tel trait de caractère, telle vertu qu’on aperçoit ailleurs, et involontairement, presque à son insu, on remarque de préférence, on exalte aux yeux de ses compatriotes ce qu’on est prêt à envier à un autre peuple. Ce n’est pas illusion ni vaine faiblesse à propos de ce qui est loin et pour ce qui est étranger, c’est pure inspiration de patriotisme. Cela n’exclut pas l’étude sincère et consciencieuse ni la finesse de vue ; au contraire l’étude n’en devient que plus ardente, la lumière plus intense sur certains traits : le lecteur saura bien ensuite rétablir l’équilibre; il aura été du moins touché de l’accent, il se sera arrêté au relief. Ainsi sans doute Montesquieu écrivit les pages de son Esprit des lois qui exaltent la constitution anglaise, ainsi Mme de Staël exilée visita et décrivit l’Allemagne, ainsi le généreux de Tocqueville étudia, vivement ému, la démocratie en Amérique. Chacun de ces nobles écrivains, jaloux de progrès, de lumière et de dignité, nous a légué sa Germanie. — Rhéteur, Tacite l’est quelquefois sans doute, en ce sens qu’il ne s’est pas entièrement préservé de certains défauts de son temps. On a pu énumérer ses habituelles inversions, ses nombreux pléonasmes; il peut arriver chez lui que l’enflure de la pensée accompagne l’enflure du style, double cause d’obscurité. Le Tibre vient d’inonder les parties basses de la ville, le sénat délibère sur les moyens de combattre et d’arrêter le fléau. Un des membres de l’assemblée propose d’ouvrir les livres sibyllins et de consulter les dieux; mais Tibère, « jetant également un voile, nous dit Tacite, sur les choses divines et humaines, perinde divina humanaque obtegens, » n’est pas de cet avis. En quoi Tibère se montre-t-il donc si mystérieux? Il fait nommer une commission d’ingénieurs hydrographes, voilà tout. Arruntius et Atéius reviennent quelque temps après à Rome, leur mission accomplie, et proposent de détourner plusieurs cours d’eau qui, en amont, grossissent parfois le fleuve à l’excès; rien de plus intelligent et de plus naturel, tandis qu’on n’est assuré de bien saisir ni la pensée ni l’expression dans ce passage de Tacite. Qu’y a-t-il après tout d’étonnant? Veut-on rencontrer sous la plume de Tacite le même style que dans les Commentaires de César? Ne voit-on pas, par le curieux recueil des Controverses qui nous est resté sous le nom de Sénèque, comment dans les écoles on enseignait à penser et à écrire, et quel empire exerçaient la rhétorique et la déclamation? Quelle merveille qu’en cette occasion Tacite se soit montré de son siècle ? En a-t-il moins été le premier peut-être des historiens?

On a médit dans ces derniers temps, il est vrai, même de Tacite historien. On a pris en main, contre ce prétendu avocat de l’aris-