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mal réussie, la nature n’ait pas reproduit ces êtres difformes et ambigus, transitions obligées, mais temporaires, entre les diverses classes du règne animal. Notre sentiment esthétique est favorable à cette hypothèse; toutefois l’analogie nous suggère une explication plus simple, elle nous enseigne que ces êtres ont disparu parce que les nouvelles conditions biologiques des mers crétacées n’étaient plus en rapport avec leur organisation. Le mosasaurus de la craie de Maestricht est la dernière réminiscence de ces reptiles, dont les crocodiles actuels nous rappellent les formes et nous permettent de deviner les mœurs.

La période tertiaire, aurore de l’époque actuelle, succède immédiatement à la période crétacée; elle est caractérisée surtout par l’apparition des pachydermes, dont les gypses de Montmartre ont conservé tant de débris illustrés par le génie de Cuvier. Ces animaux comblent, comme nous l’avons vu, la lacune qui sépare les pachydermes des ruminans; mais la création ne s’arrête pas là ; des ossemens de dauphins, de castors, d’écureuils, de chiens, d’hyènes, de loutres, de panthères et de chauves-souris, nous indiquent la progression rapidement ascendante de la série animale. Une découverte qui fit en son temps une grande sensation fut celle d’une mâchoire inférieure trouvée en 1837 par Lartet à Sansans, près d’Auch. Cette mâchoire appartenait incontestablement à un singe voisin du gibbon; or le gibbon fait partie du groupe anthropomorphe. L’homme n’était pas loin, mais Cuvier avait déclaré qu’il n’y avait pas d’homme fossile, et on le croyait sur parole. Aujourd’hui tout est changé. Sans doute on n’a pas complètement démontré que l’homme ait vécu à l’époque tertiaire, mais personne ne nie plus son existence dans la période suivante, appelée pleistocène ou diluvienne. Partout il a laissé des traces de ses combats, de ses festins, de ses funérailles; nos collections sont pleines des instrumens en pierre dure fabriqués par lui. Les ossemens des animaux dont il faisait sa nourriture portent la trace des couteaux en silex avec lesquels il dépeçait leur chair; c’étaient toutes les espèces actuelles, auxquelles il en faut joindre quelques-unes qui ont disparu depuis : tels sont l’éléphant couvert de crins, le rhinocéros laineux, l’ours, l’hyène et le tigre des cavernes. Ainsi l’homme clôt la série ascendante du règne animal. En se comparant à ses ancêtres primitifs, il n’a point à rougir de son humble origine ; un tel parvenu s’anoblit lui-même. Si les instincts animaux de ruse et de violence dont il a hérité de ses premiers ancêtres se manifestent encore fatalement dans ses luttes homicides, il peut toujours opposer aux dénigremens des misanthropes, dans le passé l’art et la littérature antiques, dans le présent la civilisation et la science modernes.