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pseudopus, les membres postérieurs seuls sont représentés par deux petits tubercules; enfin, chez l’orvet de nos bois, les quatre membres existent, mais ils sont cachés sous la peau. Les tubercules du pseudopus et les membres cachés sous la peau de l’orvet sont les uns et les autres complètement inutiles. Dans ce même ordre des serpens, les organes intérieurs ont été, comme le corps lui-même, tirés pour ainsi dire en longueur. L’un des lobes du poumon descend très bas dans le corps de l’animal, l’autre avorte et se réduit à un tubercule qui ne remplit aucune fonction; il prouve seulement que les serpens et les vertébrés à deux lobes pulmonaires égaux ont une seule et même origine. L’œil, cet organe si compliqué, si parfait dans les classes supérieures du règne animal, devient inutile, mais persiste chez les animaux fouisseurs : la taupe, les chrysochloris, parmi les insectivores; les spalax, les etenomys, parmi les rongeurs; les acontias, les amphisbènes et les typhlops, parmi les reptiles; les cœcilies et les protées parmi les amphibies qui vivent dans les eaux souterraines. Des exemples semblables se présentent chez les poissons, et ils ne sont pas moins nombreux chez les insectes qui habitent les cavernes, quoique leurs congénères soient pourvus d’yeux parfaitement conformés. Chez certains crustacés dont les yeux sont pédoncules et mobiles, comme ceux des homards et des langoustes, l’œil a disparu, mais le pédoncule persiste; l’œil, instrument inutile dans l’obscurité, s’est atrophié faute d’usage; le support seul est resté.

Le règne végétal nous offre des exemples analogues. Les feuilles avortent dans les cactées, les orobanches, les lathrœa, les acacias de la Nouvelle-Hollande et le lathyrus aphaca de nos champs. Les vrilles des légumineuses et des cucurbitacées, les filamens stériles de la fleur des labiées, sont aussi des organes avortés, — les premiers utiles à la plante comme instrumens de préhension, les seconds absolument sans usage.

Dans l’ancienne philosophie des sciences naturelles, on expliquait ces organes inutiles en les considérant comme une preuve de l’unité de plan suivie par le Créateur dans les deux règnes organiques. On les comparait à ces pierres d’attente, à ces fenêtres sans ouverture qui font pendant à de véritables fenêtres, et dénotent dans un édifice symétrique le plan raisonné de l’architecte. La filiation successive des êtres vivans étant admise, une autre explication s’impose au naturaliste philosophe. Ces organes existent, quoique sans usage, parce que tous les animaux ont une origine commune; ils sont rudimentaires et ne remplissent pas de fonctions, parce que le milieu dans lequel l’animal se meut actuellement et sa lutte pour l’existence n’en nécessitent plus l’emploi : de là une atrophie succes-