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à l’Angleterre. Elle repousse une fois, deux fois, une mesure votée par la chambre des communes ; une agitation en résulte, le pays s’enflamme pour la réforme, et les pairs finissent par céder. L’opposition des lords sert à rendre populaires les mesures qu’ils rejettent.

L’obligation où se trouvent les deux chambres de s’entendre pour faire la loi leur communique à toutes deux un esprit de conciliation et de transaction, car elle leur impose des concessions réciproques. Or cet esprit est indispensable à la pratique des institutions libres. Comme il y a toujours deux partis au moins en présence, il faut, autant que possible, que la majorité tienne compte des objections et des répugnances de la minorité, afin de ne pas la pousser à une opposition factieuse.

On a voulu que la chambre haute représentât l’esprit de conservation, et la chambre basse l’esprit de progrès : vieille et périlleuse théorie, car, dans un temps aussi impatiemment avide de réformes que le nôtre, ce serait vouer la chambre haute à une impopularité qui la perdrait irrémédiablement avec ceux qui s’appuieraient sur elle. Si l’on veut qu’une seconde chambre rende des services, il faut lui ménager la considération et le respect du pays. Notre organisation politique et sociale demande d’ailleurs de si nombreuses réformes qu’il est bon que les deux chambres rivalisent d’activité sur ce terrain ; mais ce qui est nécessaire, c’est que l’une des deux chambres représente plus spécialement la tradition, la sagesse, la science, la prévoyance, les qualités que donnent l’élévation de l’esprit et la connaissance des faits. Tel est le caractère du sénat des États-Unis, lequel jouit de bien plus de respect et d’autorité que la chambre des députés. Ce sénat a été institué non pour barrer le chemin au progrès, mais plutôt pour éclairer sa marche, et on ne l’a jamais accusé de tendances rétrogrades. Tout démocrate qui met le salut de son pays au-dessus d’un syllogisme de Rousseau ou de Sieyès doit bien considérer ceci : dans un régime démocratique où tous les pouvoirs, même l’exécutif, sont soumis à un renouvellement constant, il faut de toute nécessité qu’il y ait une institution où l’esprit de suite et de tradition puisse se concentrer, afin d’exercer son empire sur la marche des affaires. Cela est surtout indispensable pour la politique extérieure, sous peine de périr.

Sans doute ici encore il faut suivre l’exemple des États-Unis et s’abstenir de politique extérieure le plus qu’on peut, s’occuper beaucoup de ses propres affaires et point de celles des autres. Cette abstention s’impose d’autant plus à la France que ses gouvernans lui ont toujours fait suivre à l’extérieur une politique sans suite et pleine de contradictions. La restauration fait la guerre d’Espagne