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le Sauveur, qu’on le divise ! » Dioscore, profitant de l’émotion qui se manifestait, dit d’une voix haute : « Pouvez-vous souffrir ce propos, deux natures après l’incarnation ? — Non, non, répliqua le concile, anathème à qui le soutient ! — J’ai besoin de vos mains comme de vos voix, continua Dioscore ; si quelqu’un ne peut crier, qu’il lève la main ! » Les mains se levèrent, et on n’entendait que ce cri au milieu du tumulte : « si quelqu’un dit deux natures, qu’il soit anathème ! — Quelle profession de foi approuvez-vous donc ? reprit le président : celle d’Eutychès ou celle d’Eusèbe ? — Ne rappelez pas Eusèbe, dirent plusieurs voix (ce mot en grec signifie le pieux), nommez-le Asèbe (l’impie) ! » Après les actes du concile de Constantinople, on lut ceux de la commission de révision, et, les pièces de la procédure ayant été ainsi communiquées, le président passa aux avis. Juvénal de Jérusalem opina le premier : « Eutychès, dit-il, ayant toujours déclaré qu’il suit f exposition de Nicée et admet le précédent concile d’Éphèse, je le trouve parfaitement orthodoxe, et j’ordonne qu’il reprenne son monastère et son rang. » Beaucoup de voix s’écrièrent que c’était juste. Domnus d’Antioche dit à son tour : « Sur la lettre qui m’avait été écrite par le concile de Constantinople, j’avais souscrit à la condamnation d’Eutychès ; mais sur le libelle que celui-ci vient de présenter, je me rétracte. » Ce vote de Domnus jeta le désarroi parmi les évêques orientaux qui étaient venus combattre Eutychès ; ils opinèrent comme la majorité. Barsumas prononça son avis après tous les évêques, et il le fit en syriaque, un de ses moines traduisant ses paroles en grec. Les légats du pape s’abstinrent ; mais Eutychès avait gain de cause sur tous les points, et se retira de l’air d’un triomphateur.

C’était la première scène d’un drame lamentable, la seconde dépassa en tristesse tout ce qu’on avait jamais vu. J’ai parlé plus haut de ces moines d’Eutychès que l’archevêque Flavien avait exclus de la communion des mystères parce qu’ils refusaient de reconnaître la condamnation de leur archimandrite, et qu’ils continuaient d’entretenir des rapports avec lui. L’excommunication leur avait été appliquée avec une rigueur excessive. Les pauvres moines avaient tout supporté avec résignation, dans l’attente du futur concile, et, le moment tant souhaité étant arrivé enfin, ils envoyaient à Éphèse une députation pour faire connaître leurs griefs et demander réparation. Les députés, au nombre de trente-cinq, se tenaient à la porte de l’église : Dioscore ordonna qu’on les fît entrer. Ils étaient porteurs d’une requête souscrite par les principaux dignitaires du couvent, et qu’ils présentèrent au concile pour qu’elle fût lue. Cette requête, injurieuse au plus haut point envers l’archevêque, qu’ils accusaient non-seulement d’abus de pouvoir, mais de vol, concluait à ce qu’il fut à son tour déposé et excommunié.