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vienne pour une troisième citation, je la tiens pour faite. » Comme les commissaires allaient sortir, il les entreprit sur le dogme de l’incarnation. « En quelle écriture, leur disait-il, trouve-t-on ces mots, deux natures ? Et qui des saints pères a dit que le Verbe ait deux natures ? — Mais vous, répondit le prêtre Théophile, montrez- nous donc en quelle écriture on trouve le mot consubstantiel ? — Il n’est pas dans l’Écriture, reprit Eutychès, il est dans l’exposition des pères. — Eh bien ! il en est de même des deux natures. » Comme il disait que le Verbe incarné est venu relever la nature qui était tombée, un des commissaires lui dit : « Quelle nature ? — La nature humaine, reprit-il. — Et par quelle nature la nature humaine a-t-elle été relevée ? dirent les commissaires. — Je n’ai point appris dans l’Écriture qu’il y ait deux natures, » répliqua Eutychès ; puis il s’écria : « Je ne raisonne point sur la nature de la Divinité, et je ne dis point deux natures. Dieu m’en garde ! Me voici : si je suis déposé, ce monastère sera mon tombeau. » Ce rapport contenait des renseignemens suffisans sur les opinions d’Eutychès.

Le 16 novembre, avant l’envoi de la troisième citation, un archimandrite nommé Abraham et quelques moines d’Eutychès demandèrent à être entendus du concile et entrèrent. « Eutychès nous a envoyés, dit Abraham, parce qu’il est malade. En vérité, il n’a point dormi de la nuit, et n’a fait que gémir. Je n’ai point dormi non plus, car il m’avait envoyé quérir dès hier au soir, et il m’a chargé de vous répéter quelque chose. — Nous ne le pressons pas, dit Flavien avec bienveillance ; c’est à Dieu de donner la santé, à nous d’attendre qu’elle revienne : Dieu nous a établis pour exercer l’humanité et non la rigueur. » Et, comme Abraham insistait pour s’acquitter de sa commission devant le concile, Flavien lui dit avec impatience : « Comment se peut-il faire, je vous prie, qu’un homme étant accusé un autre vienne parler pour lui ? Nous ne pressons pas Eutychès : s’il vient ici, il trouvera des pères et des frères. Il a soutenu autrefois la vérité contre Nestorius, qu’il vienne maintenant la défendre pour lui-même. Nous sommes hommes, et de grands personnages se sont trompés ; il n’y a point de honte à se repentir ; qu’il confesse sa faute, et nous lui pardonnerons le passé ; qu’il nous assure de se conformer pour l’avenir aux expositions des pères et de ne plus dogmatiser, et nous le tenons dès lors pour un frère et un ami. » Flavien était évidemment ému en prononçant ces paroles, et, après qu’il se fut levé de son siège en congédiant l’assemblée, il dit aux moines d’Eutychès : « Vous connaissez le zèle de l’accusateur, le feu même lui paraît froid. Dieu sait combien je lui ai prêché la modération, mais je ne l’ai guère persuadé. Que puis-je faire ? Veux-je votre perte ? Dieu m’en garde ! »

Le lendemain de cette scène, Eutychès fit dire au concile qu’il se