Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les historiens grecs postérieurs au Ve siècle, et ensuite parce qu’il sert de transition vers une catastrophe d’une authenticité historique incontestée. Voici la version la plus vraisemblable.

C’était au commencement de l’année 440. Un paysan de la Phrygie, qui avait récolté dans son verger une pomme d’une grosseur et d’une beauté extraordinaires, eut l’idée de l’offrir à Théodose comme un échantillon des prospérités dont le ciel comblait son règne. Il se rend à Constantinople avec son offrande, et se range sur le passage de l’empereur et de l’impératrice lorsqu’ils s’acheminaient à pied vers l’église le jour de l’Epiphanie. Théodose était d’un abord facile aux gens du commun ; le Phrygien s’approche, lui présente la pomme, que le prince admire et donne à l’impératrice après avoir fait compter au campagnard cent pièces d’argent. L’impératrice, émerveillée à son tour, la fit porter comme une surprise à son ami le préfet du prétoire Paulinus, que des douleurs de goutte retenaient dans sa maison, sans lui faire savoir qui la lui envoyait : de là vint tout le malheur.

Paulinus trouva le fruit si admirable qu’en bon courtisan il en voulut faire hommage au prince ; Théodose, en le recevant, fut grandement étonné, et ses soupçons lui revinrent à l’esprit. Courant aussitôt chez l’impératrice, il lui demande d’une voix irritée où est la pomme qu’il lui avait donnée. À cette question, et au ton dont elle était faite, l’impératrice resta interdits ; puis, revenant de son trouble, elle dit résolument qu’elle avait voulu la goûter et l’avait mangée avec délices. « Eh bien ! s’écria l’empereur en rejetant le voile qui la couvrait, la voilà, et c’est Paulinus qui me l’envoie ! » Une explication violente s’ensuivit dans laquelle l’impératrice protesta de son innocence, — protestation qu’elle renouvelait, dit-on, vingt ans plus tard à son lit de mort. Si le mari conserva des doutes, l’empereur ne voulut pas qu’on pût dire qu’un sujet avait impunément attenté à l’honneur de son lit ; il fit prendre Paulinus à l’instant même, et le fit conduire par des soldats à Césarée, en Cappadoce, où on lui trancha la tête. Eudocie, remplie de douleur, offensée d’ailleurs de l’affront que ce meurtre faisait rejaillir sur elle, déclara à son mari qu’elle se séparait de lui pour jamais, et lui demanda l’autorisation d’aller finir ses jours à Jérusalem; il l’accorda, et elle partit.

La ville sainte ne lui était pas étrangère : elle l’avait visitée après le mariage de sa fille Eudoxie, en 437, pour l’accomplissement d’un vœu, et son voyage alors n’avait été qu’une suite de triomphes. Dans la grande cité d’Antioche, où elle avait fait halte en passant, elle avait été reçue au sénat sur un trône d’or enrichi de pierreries, au milieu de l’assemblée curiale, des notables citoyens et du peuple. Comme les discours étaient de toutes les fêtes dans cette patrie des