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environ sont agglomérés dans la province de Rio-Janeiro, et un grand nombre dans les villes à l’état de domesticité, 280,000 restent encore dans la province de Bahia, 250,000 dans celle de Pernambuco, 160,000 de Minas, 75,000 de Saint-Paul; le reste est épars dans les autres régions. L’extrême nord et l’extrême sud de l’empire n’en contiennent presque plus. Les provinces d’où les esclaves ont été emmenés vers le sud ont vu leurs produits augmenter; on peut citer Para, dont les exportations ne cessent pas de s’accroître, et surtout Céará. Le président de cette province affirme, dans un rapport de 1866, que plus de 4,000 esclaves ont été vendus pour d’autres contrées de l’empire depuis 1854, et que les recettes de sa province ont quadruplé pendant la même période, bien que la capitale de Céará soit située à 3 degrés au sud, et que la contrée soit ordinairement désolée par la chaleur et la sécheresse[1]. Les tableaux statistiques de M. Ferreira Soarez établissent les proportions suivantes pour toute l’étendue de l’empire du Brésil :


Nombre des libres. Nombre des esclaves. Chiffre des exportations.
1818 1,887,000 2,000,000 50,000,000 fr.
1866 9,800,000 1,500,000 250,000,000 fr.

Il est ainsi mathématiquement démontré que, selon la parole de Montesquieu, la richesse est proportionnelle à la liberté, et l’intérêt finit par parler la même langue que la morale. Cette grande leçon, déjà donnée par l’histoire de l’Europe ancienne et moderne, je l’ai retrouvée écrite dans l’histoire de l’esclavage et de l’émancipation sur tous les points du monde, aux États-Unis, à la Jamaïque, à Cuba, à la Guyane, enfin au Brésil. Sans doute, on ne passe pas de l’injustice à la justice, d’un régime enraciné dans les mœurs à un état nouveau, du travail forcé sans salaire au travail libre salarié, sans des embarras, des pertes et des efforts. C’est pourquoi la loi brésilienne hésite, ajourne, s’efforce de tourner les difficultés, et de suivre le programme tracé en ces termes à la commission parlementaire : « arriver à l’extinction de l’esclavage sans causer de préjudice à la propriété et sans nuire à l’agriculture. » Un problème posé dans ces termes contradictoires n’est pas susceptible d’une solution absolue. Examinons les demi-solutions contenues dans la loi brésilienne.

La liberté immédiate n’est accordée (art. 6) qu’aux esclaves de la nation, que l’on suppose être au nombre de 1,650, aux esclaves de la couronne, aux esclaves des successions en déshérence et aux esclaves abandonnés par leurs maîtres. Ces affranchis sont d’ailleurs placés pendant cinq ans sous la surveillance du gouvernement, et forcés de travailler dans des établissemens publics, s’ils ne s’occupent pas libre-

  1. Rapport de M. Taunay, ancien consul de France à Rio-Janeiro, 1867.