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tablement de celle des classes ouvrières belges, au point de vue matériel du moins, car sous le rapport de la moralité, du contentement de leur sort, de la bonne intelligence avec les patrons, les Hollandais sont très supérieurs. Les salaires sont peu élevés en Hollande. Dans les principales fabriques d’Arnheim, la rétribution varie de 1 franc 50 cent, à 2 francs 50 cent, pour les ouvriers ordinaires; ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle atteint 3 et 4 francs. A Deventer, les artisans ne gagnent pour la plupart que 9 ou 12 francs par semaine; quelquefois la rémunération va jusqu’à 14 francs, ce qui est à peu près la limite extrême. à s’en faut que les denrées dans ce pays soient à bon marché. Aussi les budgets ouvriers ont-ils bien de la peine à rester en équilibre. Une de ces dernières années, la « Société pour l’avancement de l’industrie en Néerlande » chargea un comité spécial, composé moitié d’ouvriers, moitié de patrons, de faire la balance des ressources et des dépensas nécessaires de ménages ouvriers dans les différentes conditions de l’existence. Jamais ce comité, malgré sa compétence, ne put arriver à établir en équilibre le budget d’une famille d’artisan. Le ménage d’un forgeron, par exemple, avec une femme et un enfant, n’avait que 9 florins 1/2 en recettes, tandis qu’il figurait pour plus de 15 florins au chapitre de la dépense. Les faits, avec leur dureté impitoyable, se chargent de réaliser ce miracle d’une famille ouvrière néerlandaise vivant avec les seuls revenus de son travail ; il est vrai que très souvent la charité publique doit intervenir pour combler le déficit. Rien de plus simple et de plus frugal que la nourriture de l’artisan hollandais : la viande de boucherie n’entre pas dans ce régime, le lard seulement y est admis, et encore en quantités minimes, presque infinitésimales. Néanmoins ces populations sont satisfaites de leur sort, et nulle part les désordres ne sont moins nombreux. Les Néerlandais s’accoutument de cette vie de Spartiate; on ne peut dire cependant qu’ils aient, pour soutenir leur moral et égayer leurs esprits, la jouissance d’un beau soleil ou le spectacle d’une exubérante nature.

Nous ne poursuivrons pas davantage nos incursions dans le vieux monde : il est vieux en effet par l’accumulation des capitaux et des sciences, il est vieux encore par l’excès de population qui se rencontre sur certains points, en Saxe par exemple et en Belgique surtout. Quand on examine le sort de ces classes ouvrières, on peut se sentir saisi de pitié et se laisser entraîner à des récriminations passionnées ou bien à des plans nouveaux de reconstruction de la société; mais il faut voir les choses avec plus de sang-froid et de réflexion, il faut se courber devant les lois naturelles dont toutes les violences humaines ne peuvent modifier le cours. Dure est la si-