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en France. Il est vrai que ce pays est d’une grande richesse agricole, et qu’il possède en outre une industrie florissante. Dès le moyen âge, les villes de Flandre étaient renommées pour leur prospérité et même pour leur puissance. Un gouvernement sage, libéral, modéré dans ses dépenses, un établissement militaire modeste et qui n’écrase pas la nation, ont permis à toutes les ressources du sol de se développer à l’infini. Le capital n’a cessé de s’accumuler dans ce fortuné pays sans être périodiquement compromis ou gaspillé en ruineuses entreprises de guerre. Néanmoins la condition des ouvriers y est précaire et médiocre, quand elle n’y est pas misérable. Plusieurs causes expliquent ce phénomène : c’est d’abord que la population est vraiment exubérante, ensuite les habitudes des classas ouvrières belges sont en général trop molles et trop imprévoyantes, enfin l’éducation populaire laisse singulièrement à désirer dans ces régions. Voilà pourquoi dans ce pays si industrieux près de 900,000 personnes, soit le cinquième de la population, sont secourues par les institutions de bienfaisance et reçoivent l’aumône. Dans les campagnes, les journaliers gagnent de 1 fr. 50 à 2 fr. 25, et les femmes ont un salaire de 80 centimes à 1 franc. La rétribution est plus élevée dans les fabriques : les ouvriers ordinaires y sont payés depuis 1 franc 50 jusqu’à 2 francs 50 par jour, les travailleurs d’élite obtiennent 3 francs et plus, les femmes gagnent en moyenne dans les établissemens manufacturiers 1 fr. ou 1 fr. 25, celles qui ont une habileté hors ligne vont jusqu’à 2 francs ou 2 fr. 50. Dans les mines de charbon, les salaires varient de 80 centimes à 1 franc 90 pour les femmes et de 90 centimes à 3 fr. 40 pour les hommes. Les artisans, c’est-à-dire les charpentiers, maçons, cordonniers et autres ouvriers de métiers divers, sont naturellement plus favorisés. Pour eux, les salaires de 3 francs et de 4 fr. ne sont pas rares; ceux de 5 fr. à 10 fr. forment l’exception.

Le consul anglais d’Auvers a comparé les salaires des différens corps d’ouvriers en Belgique et dans la Grande-Bretagne, et il est arrivé à cette conclusion, qu’ils sont moitié plus élevés dans ce dernier pays. La comparaison n’a été établie qu’entre Anvers et Londres. Le maçon, par exemple, qui gagne 2 fr. 50 cent, en moyenne dans la première de ces villes, perçoit un salaire de 7 fr. 25 cent, dans la seconde. Il ne faudrait pas croire cependant que la vie de l’homme du peuple fût notablement moins chère à Anvers qu’à Londres; des tableaux statistiques détaillés détruisent cette illusion. Le pain est exactement au même prix dans les deux villes, et, s’il est vrai que la viande de bœuf et de mouton, ainsi que les œufs, soient très légèrement moins chers à Anvers, d’un autre côté la viande de porc, les pommes de terre, le sucre, y coûtent plus qu’à Londres; il en est de même pour le charbon. La plupart des objets