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coles, ou même des ouvriers en bâtiment, qui s’enrôlent au mois ou à l’année dans une troupe conduite par un entrepreneur ou tâcheron. Cette organisation du travail est un perfectionnement très heureux, qui simplifie singulièrement les rapports entre les propriétaires et les travailleurs. Les premiers n’ont qu’à traiter avec le chef de bande et sont dispensés du soin de recruter et de rassembler les ouvriers, ainsi que d’une surveillance difficile. Les travaux se font à la tâche ou à forfait. C’est ainsi que l’on procède dans beaucoup de districts pour la récolte et pour les autres grands ouvrages d’l’agriculture. Il est assurément curieux de rencontrer en Russie ces bandes agricoles qui ont apparu, il y a quelques années, dans les comtés anglais du Westmoreland et du Northumberland.

Que l’immense empire des tsars soit réservé à un très grand développement économique, c’est ce qui ne saurait être contesté. La population augmente chaque année dans ces steppes et se trouve chaque jour plus en état d’en exploiter les ressources. Des vues de politique ambitieuse plutôt que d’administration prévoyante ont fait tracer et exécuter des chemins de fer et des routes à travers ces vastes régions. L’échec de la guerre de Crimée a été un vrai bonheur pour la Russie; depuis lors les travaux publics ont pris un essor inouï. Les fleuves aussi finiront par être utilisés, la navigation en sera améliorée et les rives assainies. Les réformes administratives, telles que l’affranchissement des serfs et la suppression des institutions communistes des villages russes, sont déjà appliquées ou bien en voie d’application. L’habileté des ouvriers russes, leur facilité à reproduire les modèles venus d’Occident, donneront des résultats et augmenteront la richesse du pays. Peut-on croire cependant que cette civilisation, à quelque éclat qu’elle soit destinée, sera solide, que cette société restera compacte et à l’épreuve des convulsions révolutionnaires? Rien des symptômes inquiétans nous interdisent cet espoir. Les traditions du peuple russe, soit religieuses, soit politiques, sont funestes et grosses de dangers; le culte grec n’a produit qu’une déplorable et presque universelle démoralisation. Toutes ces sectes farouches, ennemies de la société, qui se sont révélées depuis quelques années dans cet immense empire, exercent une véritable fascination sur des intelligences naturellement peu judicieuses, sans compter la fâcheuse influence des antécédens socialistes des communes russes. Il est à craindre qu’avec le temps, quand l’ascendant de l’église grecque se sera amoindri sans être remplacé par aucune autre autorité religieuse, quand le culte pour la personne et la famille impériale aura moins de puissance sur les âmes, quand les voies de circulation, les échanges, les relations entre les différentes provinces et avec l’étranger seront