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plaines qui bordent le Danube ont le plus riche sol d’alluvion qui se puisse rencontrer en Europe, mais les lois et l’administration du pays sont tracassières et intrusives, la population est rare, le pâturage domine dans ce vaste territoire, d’où la charrue tirerait des trésors. Belgrade présente, il est vrai, des dehors fastueux; le gouvernement y a suscité d’immenses travaux de construction, les salaires de quelques métiers y sont montés à des taux élevés, 4 ou 5 francs par jour dans un pays où la viande ne coûte presque rien. La plus grande partie des habitans n’en est pas moins besoigneuse et misérable. Le pays est malsain, faute de culture et de travaux publics de quelque importance. Toutes ces contrées de l’Orient se ressemblent : les gouvernemens poursuivent à outrance les contribuables pour leur extorquer le plus clair de leur substance, ils ne contribuent en rien à accroître l’outillage social. Le capital ne se forme pas ou se cache; faute de cette puissance bienfaisante, les dons les plus exquis et les plus généreux de la nature restent improductifs.

Hâtons-nous de quitter ces peuples déchus pour aborder des pays plus neufs et qui semblent réservés à un grand avenir. La Russie s’offre d’abord à nos regards. Le document anglais nous fournit toute une série de rapports sur l’état des populations de ce vaste empire. Les consuls de Kertch, de Nicolaïef, d’Odessa, de Poti, de Riga, de Taganrog, de Varsovie, ont envoyé des relations. Nous sommes en présence d’un monde qui naît, d’une société qui sort des steppes et aspire à jouer le premier rôle dans l’humanité. Ce qu’est la constitution du sol en Russie, chacun le sait; malgré son immense étendue, ce pays présente une assez grande uniformité d’aspect et de culture; ce sont des plaines sans fin, sablonneuses et légèrement ondulées, qui n’opposent aucun obstacle à la circulation des vents glacés du nord. Les vastes fleuves de la Russie seraient une source de fertilité, s’ils étaient contenus et si les bords en étaient assainis par un puissant système de travaux publics. Le sol est merveilleusement propre à la culture des céréales et à l’élève des moutons, mais la population est encore clair-semée et sans proportion avec l’énormité du territoire. Les routes et par conséquent les débouchés font encore trop souvent défaut. Le servage, qui vient à peine de disparaître, étouffait chez le paysan l’intelligence, l’esprit d’initiative et jusqu’au désir même d’améliorer son sort; les institutions primitives, presque communistes, des villages russes dans un grand nombre de districts retiennent encore l’agriculture en des liens surannés et en retardent le développement. Peu à peu cependant toutes ces barrières s’évanouissent : une société nouvelle s’élance avec ardeur et surtout avec persévérance dans les voies du progrès. Elle est arrêtée par plusieurs obstacles