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présentent pour nous un grand intérêt. La loi les interdisait sévèrement : on craignait avec raison que le droit d’association transporté dans les camps n’y répandît l’indiscipline; mais la loi fut encore ici impuissante. Après s’être glissés dans les armées malgré elle, les collèges s’y développèrent sans qu’elle osât s’y opposer, il s’en forma autour des légions, parmi les vivandiers qui les approvisionnaient, les ouvriers qui fabriquaient ou réparaient les armes; il s’en forma dans les légions elles-mêmes entre les soldats et les officiers de tout grade. Les inscriptions romaines de l’Algérie publiées par M. Léon Renier nous donnent à ce sujet des détails curieux et nouveaux. La ville de Lambèse a été pendant trois siècles le séjour d’une légion, la 3e Augusta, chargée de défendre la Numidie; on a retrouvé l’emplacement du camp qu’elle occupait, et, parmi les débris qui le couvrent, il reste des ruines nombreuses de monumens élevés par les collèges de la légion. L’administration les connaissait; elle semblait même les protéger. C’est le légat impérial qui dédie solennellement les autels et les statues que les officiers ou les sous-officiers érigent sur leurs épargnes. La schola des lieutenans était située tout près du quartier-général, et le commandant de la légion pouvait lire tous les jours en sortant de chez lui l’inscription par laquelle les associés déclarent « que du produit très abondant de leur solde et avec les libéralités des empereurs, ils l’ont fait construire et l’ont ornée des images de la famille impériale. » Ces collèges étaient organisés à peu près de la même manière que les associations civiles. Chaque membre versait une somme assez importante à son entrée dans la société (750 deniers, c’est-à-dire 600 francs dans celui des officiers qu’on appelait cornicularii) ; le reste était fourni sans doute par des retenues sur les traitemens. Seulement il n’est plus ici question de la loi qui veut que l’argent des collèges ne serve qu’à la sépulture de leurs membres. La caisse commune fournit à beaucoup d’autres dépenses : on y puise pour donner des frais de route aux associés qui vont faire un voyage sur le continent, et quand ils ont reçu leur congé, on leur compte une somme de 500 deniers (400 francs) qui les aide à s’établir dans les pays où ils vont se fixer. M. Léon Renier voit dans cet usage l’origine lointaine de nos caisses de retraite. Qui se serait douté qu’il existait quelque chose de semblable chez les Romains, si par hasard on n’avait trouvé au fond de l’Afrique les inscriptions de la 3e légion? Il est donc possible que l’avenir nous réserve des découvertes semblables et aussi peu attendues. Nous ne pouvons pas nous flatter de connaître toutes les formes que la bienfaisance avait revêtues dans les associations antiques; mais, en admettant qu’il s’en rencontre qui avaient tout à fait devancé nos sociétés charitables, nous pouvons être sûrs qu’elles n’ont jamais