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aux miens, dit Pline le Jeune, de faire des testamens et je les respecte; je les laisse libres de partager, de donner, de léguer ce qu’ils possèdent, à la condition que ce soit à des personnes de chez moi, car la maison est une sorte de république et de cité pour l’esclave. » L’association l’en fait sortir; elle ouvre pour lui ces portes si rigoureusement fermées, elle l’introduit dans un monde qui lui est nouveau, où il fréquente des hommes libres dont il se trouve l’égal, dont il peut devenir quelquefois le supérieur. A la vérité, pour qu’un esclave puisse être reçu dans un collège, la loi exige qu’il obtienne le consentement de son maître; mais une fois le consentement donné, il lui échappe en partie. Il a des réunions, des intérêts, des amitiés, des appuis hors de la famille; on le consulte, on l’écoute, on le sollicite, on le flatte, — pendant les quelques heures qu’il passe dans son collège, il peut oublier qu’il est esclave. C’est une trêve à la servitude; elle est malheureusement bien courte. De retour chez son maître, il y retrouve le travail, les outrages et les coups; rien ne lui appartient, pas même son corps. Il a beau payer avec exactitude la contribution funéraire; après sa mort, son maître, s’il le veut, peut refuser son cadavre à l’association qui le réclame : il peut le garder chez lui, s’il a quelque vengeance à exercer, et le faire jeter dans ces excavations fétides où pourrissent ensemble tous les esclaves imprévoyans qui n’ont pas pris la peine de se préparer une sépulture. La société ne peut pas venir le lui arracher; elle se permet au moins de flétrir la conduite du maître : elle dit qu’il est injuste, et célèbre en face de lui une cérémonie funèbre en l’honneur de cet esclave qu’il veut outrager. Le droit d’association, qui, comme on vient de le voir, relève l’individu dans le collège, relève aussi le collège dans la cité. Ces pauvres gens isolés ne comptaient guère; réunis, ils prennent une certaine importance. Dans les inscriptions où l’on énumère les libéralités faites par les magistrats municipaux à la ville qui les a élus, les collèges sont toujours nommés avant la plèbe et on leur donne une somme plus forte. Ils interviennent aussi quelquefois dans les affaires publiques. Parmi les affiches électorales qu’on rencontre en si grand nombre sur les murs de Pompéi, plusieurs sont l’œuvre des collèges de la ville. Ils ont leur candidat qu’ils recommandent au peuple. Quelques-uns s’expriment d’une façon modeste : « Les marchands de bois et les charretiers vous demandent d’élire Mancellinus. » D’autres ont un ton plus décidé : « Les pêcheurs nomment pour édile Popidius Rufus. » Ces pêcheurs connaissent la force que donne l’association; c’est ce qui les fait parler avec tant d’assurance.

Quand on songe aux services que les collèges ont rendus aux classes laborieuses et souffrantes de l’empire romain, l’idée vient aussitôt de les comparer à nos associations charitables, et l’on