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dité toutes les distinctions, et les plus médiocres avaient du prix pour eux qui n’étaient pas accoutumés à la considération publique. Sur leur tombe, qui était l’objet de tous leurs soucis, ils souhaitaient qu’on pût lire qu’ils avaient été les magistrats ou les protecteurs de quelque association; ce titre les tirait du nombre des affranchis vulgaires, il corrigeait en partie ce qu’avait de trop bas le souvenir de leur condition servile. Ils auraient été très flattés sans doute de figurer parmi les protecteurs de quelque collège important; mais quand ils ne pouvaient pas obtenir cet honneur, ils se rabattaient sur les autres. C’est ainsi que, la vanité aidant, tous les collèges, à quelque degré qu’ils fussent placés, trouvaient des protecteurs.

L’association payait son protecteur en hommages et en respect. C’est en assemblée générale, sur le rapport des magistrats, qu’il était désigné, et le choix de la société lui était signifié par un décret solennel. Voici en quels termes s’exprime à cette occasion un collège de marchands de drap dans une petite ville d’Italie :

«Le 10 des calendes d’avril, dans la chapelle de l’association, les questeurs ont pris la parole et nous ont représenté qu’il convenait à notre collège de nommer pour son protecteur Tutilius Julianus, citoyen aussi recommandable par la sagesse de sa conduite et sa modestie naturelle que par sa générosité, afin que ce choix fût un exemple éclatant de la façon dont nous savons distinguer le mérite. À ces causes, les questeurs entendus, nous avons arrêté ce qui suit : l’opinion de tous et de chacun en particulier est que l’avis ouvert par les magistrats de l’association est sage et utile. En conséquence, il nous faut nous excuser auprès de l’honorable Julianus de n’avoir pas songé plus tôt à lui, le prier de vouloir bien accepter le titre que nous lui décernons, et de permettre qu’on place au-dessus de la porte de sa maison une plaque de bronze sur laquelle sera gravé le présent décret. »

Il était bien difficile que le protecteur fût insensible à tant de politesse. Provoqué par les flatteries de ses nouveaux confrères, il lui fallait répondre par des libéralités de tout genre; à chaque bienfait nouveau, la société qui ne voulait pas être ingrate votait à son protecteur des remercîmens pompeux : c’était un combat de générosité dans lequel il lui était difficile d’être vaincue, car elle ne donnait que des complimens, et rien ne l’empêchait d’en être prodigue. Quelquefois elle semblait vouloir y joindre des marques plus effectives de sa reconnaissance, elle avait l’air d’avoir vraiment l’intention de se mettre en dépense; elle promulguait un décret pour annoncer qu’après une grave délibération elle s’était décidée à élever une statue à son généreux bienfaiteur. Une statue était un très grand honneur auquel ces négocians enrichis devaient être très sen-