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rendre compte en gros de la direction qu’il faut prendre, et pour discerner quels sont les hommes les mieux faits pour marcher dans ce sens avec sagesse et dans l’intérêt bien entendu de leurs commettans. Évidemment ce n’est qu’à cette condition que la république peut donner à un pays la sécurité, la prospérité, la grandeur.

Or le peuple français possède-t-il les aptitudes que nous venons d’indiquer ? Même à l’époque, hélas ! trop courte, où il a pu choisir librement une chambre investie de toutes les prérogatives parlementaires, il était soumis dans tous les actes de sa vie publique et privée à une tutelle administrative si omnipotente et si universelle, qu’il n’a guère pu se préparer à la tâche difficile de se gouverner lui-même. D’autre part, des différens pouvoirs qui se sont succédé en France, aucun n’a compris qu’il fallait, à tout prix et à bref délai, répandre, dans toutes les classes les connaissances qui sont indispensables à un peuple auquel on n’a pas craint d’accorder le périlleux droit de nommer aux plus hautes fonctions de l’état, ou qu’il fallait au moins lui donner ce degré élémentaire d’instruction que même des rois absolus avaient cru devoir accorder à leurs sujets, dans un pays voisin. — Ainsi peu de lumière et nulle habitude du self-government chez le peuple, beaucoup d’appréhensions et d’idées rétrogrades chez le parti conservateur, des traditions de despotisme et de violence chez le parti républicain, enfin une dangereuse hostilité de classes, voilà certes des élémens qui ne rendent pas facile l’établissement d’une république stable en France.

D’un autre côté, le rétablissement d’une monarchie durable offre, semble-t-il, de plus grandes difficultés encore. La proclamer serait aisé. Il suffirait probablement d’un vote de la chambre ou d’un coup d’état appuyé par l’armée ; mais combien de temps une monarchie ainsi restaurée pourrait-elle résister aux intrigues des bonapartistes disposant d’une partie de la presse et abusant de la crédulité des campagnes pour leur faire regretter l’âge d’or de l’empire, aux exigences du clergé réclamant une expédition à Rome et des lois théocratiques, aux républicains agitant les villes et les ateliers au moyen de la question sociale, et se servant sans relâche de cette arme d’opposition, presque irrésistible, que leur offrirait le désir si général de la revanche contre l’Allemagne ? Un souverain qui voudrait résister aux impatiences belliqueuses, aux illusions de la vanité nationale qu’on soulèverait contre lui pendant le temps nécessaire à la France pour se refaire, serait perdu ; il tomberait sous le poids de l’impopularité. Le renversement de la république conduirait ainsi à une nouvelle guerre extérieure, avec la perspective d’une révolution sociale au moindre échec, comme en 1870.