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bution de la vie par anneaux ayant chacun leurs ganglions distincts et doués d’une vie partielle liée à la vie générale, mais non confondue avec elle. La personnalité est plus ou moins divisée chez les insectes, et l’identité du moi, si toutefois elle existe, se trouve formulée d’une façon diffuse, puisque les sensations se localisent d’abord dans chacun des anneaux auxquels appartient le ganglion d’où elles relèvent avant de se répandre partout. L’ébranlement des centres nerveux secondaires, en se transmettant d’un ganglion à un autre, doit s’affaiblir comme l’écho qui se répercute ; on a vu des insectes privés de leur abdomen continuer à manger. Cependant à mesure qu’on s’élève vers les types d’insectes supérieurs, la concentration du système nerveux se prononce, et le ganglion céphalique tend à prédominer de plus en plus sur les autres. Cette disposition est évidente chez les araignées, les abeilles et les fourmis, où l’instinct revêt quelques-uns des caractères de l’intelligence.

Le plan d’organisation des insectes n’a rien de simple ; dans toutes les directions, il n’arrive à la perfection relative qu’en accumulant les complications. Les organes des sens, ceux de préhension et de locomotion, ceux qui servent au vol, à la défense ou à la propagation, comme les aiguillons, les scies, les tarières, étonnent souvent par la multiplicité et le fini des pièces dont ils sont formés. On connaît les yeux à facettes innombrables des libellules, des mouches et des papillons ; pour manger, les insectes broyeurs déploient tout un attirail de pièces dont le mécanisme est loin cependant de valoir en sûreté le jeu de nos mâchoires. L’abeille elle-même se sert pour piquer d’un instrument à la fois complexe et délicat, véritable arme de luxe qui se trouve presque aussitôt hors d’usage. Les insectes, on peut le dire, sont des animaux de détail, mais leur plan de structure, à cause de cette minutie, exclut la grandeur. Le développement s’y est fait par la diversification et ce que l’on pourrait nommer la ciselure des parties, mais l’ensemble est demeuré inextensible ; l’exosquelette s’est trouvé une enveloppe sans élasticité dont la trame s’est prêtée rarement à dépasser des proportions médiocres. Un insecte de la grosseur du plus petit des mammifères est un géant dans sa classe. Les crustacés atteignent, il est vrai, à de plus fortes dimensions que les insectes proprement dits ; mais ces articulés participent de la taille considérable départie aux organismes marins ; la proportion relative ne change pas, si l’on compare le homard à la baleine. D’ailleurs les crustacés respirent par des branchies, et les plus élevés d’entre eux possèdent une circulation véritable. La respiration trachéenne et la circulation imparfaite des insectes ont dû opposer un obstacle insurmontable au développement de la classe au-delà d’une certaine limite de perfectibilité.