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des élémens salins se serait opérée à la longue. De nos jours, les lacs salés de l’Amérique, de l’Asie et de l’Afrique se couvrent à certaines époques de sel à l’état de croûte solide qui entoure d’une ceinture éblouissante de blancheur la partie demeurée liquide, qui garde sa teinte azurée ; mais l’eau, à ce degré de salure, ne contient plus aucun être vivant, elle devient funeste à tout organisme ; on le sait par l’exemple de la Mer-Morte, et l’étang salé de la Valduc, en Provence, ne renferme en fait d’animaux que la moule ordinaire, rendue naine par l’influence d’un milieu aussi malsain.

Dans l’âge triasique, les mers intérieures de toutes les formes et de toutes les grandeurs abondaient, ainsi que les lagunes plus ou moins saumâtres, tantôt envahies par des végétaux amis des marécages, tantôt peuplées de reptiles amphibies et de poissons. Ces lagunes, exposées soit à des desséchemens partiels, soit à des crues subites, ont dû s’étendre sur une grande partie de notre globe et remplacer presque partout l’océan proprement dit, dont on n’observe des traces que sur des points fort restreints. On conçoit combien, à une époque où les animaux terrestres manifestaient encore des allures amphibies, cette diffusion des bassins éparpillés et vaguement délimités a dû être favorable au développement de pareils êtres. Maigre la différence des temps, les choses se passent à peu près de même sur les bords du plus grand des lacs africains. Le docteur Barth, explorant le Tsad, était arrêté à chaque pas par des marécages, véritables labyrinthes sans issues qui coupent d’interminables plaines où le regard se perd sans apercevoir ni la nappe centrale ni un point saillant pour se reposer. La configuration du sol change d’année en année ; rien n’est stable, pas même l’emplacement des villes, que les crues submergent en effondrant le sol. De là l’impossibilité de fixer au lac une limite et de lui assigner un niveau. De grands papyrus, des lotus, de puissantes graminées, encombrent les parties inondées, et leurs débris décomposés altèrent la teinte et la qualité de l’eau. D’immenses troupes d’antilopes bondissent à travers les plages, inaccessibles au pied de l’homme ; les anses sont peuplées d’hippopotames, les lisières servent d’abri à des crocodiles et à de grands lézards, les éléphans eux-mêmes se fraient çà et là un passage au sein des cantons dont le sol est ondulé et ombragé de grands arbres, tandis que d’innombrables troupes de canards nagent au milieu des prairies de nénufars. Ici la surface boueuse de la plage porte les traces de pas des girafes, des cochons sauvages et des grands échassiers qui la visitent tour à tour ; ailleurs le marécage disparaît sous de sombres forêts où dominent le gigantesque baobab, plusieurs espèces de figuiers et des acacias, ou bien encore des bouquets de palmiers élèvent leur stipe terminé par une royale couronne de frondes en éventail.