Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/584

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le général fit signe à un planton qui l’avait accompagné et dont le torse immobile se dressait contre la porte, et l’on vit entrer un petit garçon en sabots, coiffé d’un méchant bonnet de laine et portant sur sa veste déchirée une gibecière de toile à demi pleine d’un chiffon de pain et de quelques noix. Il avait le visage hâlé, mais rouge comme une pomme d’api, des yeux vifs et brillans. — Mais ce petit homme dont je n’ai aucune idée, s’écria Mme de Fleuriaux, c’est un berger, j’imagine. Il est même tout à fait gentil.

— Eh bien ! madame, ce gentil petit berger, savez-vous ce qu’il est ? Un espion, ni plus ni moins.

— Un espion !

— Et un espion au service des Prussiens, s’il vous plaît. Il a plus de ruse dans son petit doigt que vous dans toute votre personne. Interrogez-le, et vous verrez.

Le petit pâtre avait écouté ce bout de conversation d’un air attentif et sournois, tout en jetant autour de lui des regards curieux. Il tortillait son bonnet entre ses doigts et remuait les pieds comme s’il avait eu des fourmis dans ses sabots. — Est-ce vrai, à votre âge ? dit alors Mme de Fleuriaux.

— C’est comme on voudra prendre les choses, répondit le petit pâtre d’une voix traînante… Moi espion, je ne sais pas. J’étais sur la place du Martroy à Orléans, où j’attrape quelques sous en faisant des commissions. Un officier prussien à qui j’avais offert des allumettes me dit comme ça l’autre jour : — Veux-tu gagner une belle pièce de cinq francs ? Vous comprenez,… ça ne se refuse pas. — Ça me va, que je dis ; qu’est-ce qu’il faut faire ? — T’en aller droit devant toi, de l’autre côté de l’eau ; tu regarderas, tu causeras avec les uns et les autres, et, si tu apprends qu’il y a des troupes françaises, comme qui dirait un régiment par ci, de l’artillerie par là, des cavaliers ailleurs, tu tâcheras de bien savoir où elles sont, combien il y en a, et tu reviendras me le dire. Si tu ne me trompes pas, je le saurai toujours, au lieu d’une pièce il y en aura peut-être deux. — Moi, qu’est-ce que ça me fait d’aller me promener d’un côté plutôt que d’un autre ?… J’ai passé le pont.

— C’est de l’espionnage, s’écria Mme de Fleuriaux.

— Dame ! puisque vous me le dites, faut le croire ; mais alors, si ça sert à quelque chose, ces promenades-là, pourquoi les officiers français ne m’ont-ils pas mis dans la main de quoi en faire ? Tout de même j’aurais travaillé pour eux.

— Ah ! fit son interlocutrice avec un geste de dégoût ; quel âge as-tu donc ?

— Treize ans, vienne Noël.

L’enfant se mit à retourner son bonnet. — Ce qu’il ne vous dit pas,