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Les petites filles qui avaient entraîné Madeleine furetaient partout ; d’un air curieux et les cheveux au vent, elles entraient dans toutes les chaumières. Jamais elles n’avaient vu si beau spectacle que celui de dragons menant leurs chevaux à l’abreuvoir : il y en avait quatre ! Chemin faisant, et courant toujours, elles avaient perdu Madeleine et n’en étaient point fâchées ; la plus grande conduisait la plus petite et lui donnait des explications. Madeleine, dont la pensée était ailleurs, suivait silencieusement une ruelle sombre qui la ramenait à l’une des portes du parc. Des vaches y passaient venant du pacage ; un chien de chasse courut à elle et frotta sa tête soyeuse sous sa main, elle le caressa : — Il t’aimait, lui aussi, mon pauvre Tom ! dit-elle. Le chien flaira le vent, et aboya, tournant autour d’elle.

M. de Linthal avait pris le chemin du château avec le colonel. — Et l’armée ? lui dit-il à demi-voix.

M. de Selligny jeta ses bras en l’air, sans répondre, avec un geste désespéré. — Ainsi battue ?

— Battue et dispersée aux quatre vents. Le régiment ne sait pas où est sa brigade, la brigade où est sa division ! Que voulez-vous faire avec de jeunes recrues contre des obus qui viennent du fond de l’horizon !… On voit à peine la fumée des batteries qui les tirent.

Deux ou trois officiers rejoignirent leur colonel : M. de Selligny les présenta ; ils firent ensemble un tour dans le village, tout allait bien. La comtesse vint à leur rencontre. — Mon ami, dit-elle à son mari avec un bon sourire, les chambres de ces messieurs sont prêtes, et, s’ils le veulent bien, à sept heures on servira.

— Ah ! madame, dit l’un de ces officiers, ce n’est pas le soin de mettre un habit noir et de nouer une cravate blanche qui nous retiendra… Tels nous sommes, tels vous voudrez bien nous recevoir !

Elle prit les devans pour donner les derniers ordres. Ses deux filles, passant à côté d’elle comme deux oiseaux, se précipitèrent dans la cour du château, qu’elles traversèrent en courant, et tombèrent dans le salon, où la baronne de Fleuriaux était encore assise. Elle saisit la plus grande par le bras. — Çà ! dit-elle, m’expliqueras-tu ce qui se passe ? Le château est sens dessus dessous !…

— Je crois bien ! On fait du feu dans toutes les chambres, on met des draps à tous les lits ! Nous avons des officiers à dîner… Je vais m’habiller.

Alice prit sa course ; la baronne retint sa jeune sœur. — Que me racontez-vous là ? Êtes-vous folles ? Dix officiers !

— Dix ou douze ! s’écria Suzanne. Il y en a un qui est beau comme le jour… Vous verrez. Il paraît que c’est un commandant.

Elle s’échappa comme une flèche. Mme de Fleuriaux haussa les