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roi sont décèdes avant lui, ils sont eux-mêmes représentés par des héritiers mineurs, les uns Français, les autres étrangers; une partie des biens de la donation ont été vendus, les autres ont été affectés à l’emprunt. Droits héréditaires, droits des princes étrangers, droits des mineurs, droits des tiers, le décret s’attaque à tout, renverse tout. Il y a plus, en brisant le testament du roi, le décret fausse encore celui de Mme Adélaïde. Le roi et Madame avaient en effet combiné leurs dispositions testamentaires en assurant davantage dans l’une des successions à celui qui avait moins dans la seconde. Les deux testamens s’harmonisaient ainsi pour réaliser la pensée commune, l’égalité entre tous. »

On a donc eu raison de le dire, la confiscation dont le décret du 22 janvier s’est rendu coupable est une confiscation d’un ordre exceptionnel. Toute personnelle à son auteur comme à ses victimes, elle ne peut s’expliquer que par les préoccupations d’une haine passionnée et inquiète de l’avenir, en même temps que par une avance intéressée aux doctrines du socialisme, dont on recherchait l’alliance. Qui pourrait en douter après l’aveu étrange contenu à la fin du décret? « Considérant, dit-il, que, les droits de l’état ainsi revendiqués, il reste encore à la famille d’Orléans plus de 100 millions, avec lesquels elle peut soutenir son rang à l’étranger[1]. »

Au reste, la seconde partie du décret du 22 janvier complète et consacre l’œuvre de socialisme dont l’aveu est échappé à ce considérant. En effet, après la confiscation vient le partage des dépouilles; on y appelle toutes les classes de la société. Les ouvriers, auxquels le Moniteur a spécialement recommandé le décret[2], figurent les premiers sur la liste avec la plus forte part : 20 millions; 10 millions sont affectés à la création d’institutions de crédit foncier, et 5 millions à une caisse de retraite au profit des desservans les plus pauvres : tel sera le lot de la bourgeoisie et du clergé; les bénéfices de la spoliation pénétreront dans l’armée de terre et de mer par la création d’une médaille militaire; enfin le reste de la fortune sera réuni, malgré le contraste des mots, à la dotation de la Légion d’honneur, chargée de faire leur part aux officiers, sous-officiers et soldats décorés. C’était une entreprise en grand pour acheter la conscience publique, pour faire accepter les étranges théories de droit, de morale, d’histoire, dont les considérans du décret du 22 janvier étaient les interprètes effrontés. Nous pouvons le dire à l’honneur du pays, la tentative a échoué. Le

  1. On a vu par la lettre de M. Dupin combien ce chiffre était exagéré.
  2. Le 24 janvier 1852, on lisait la note suivante dans le Moniteur en tête des faits Paris : « Les décrets ont été affichés de bonne heure dans tous les quartiers de Paris; des groupes nombreux d’ouvriers se pressaient à l’entour et approuvaient généralement la mesure prise. »