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« M. Dupin au prince-président de la république.

« Prince, je regrette vivement qu’avant de rendre le décret que je viens de lire ce matin dans le Moniteur, vous n’ayez pas eu la pensée de m’entendre à ce sujet avec cette bienveillance que vous avez quelquefois mise à m’écouter. J’aurais essayé de vous prouver, non-seulement dans l’intérêt privé des enfans, la plupart mineurs, du feu roi, dont je suis l’un des exécuteurs testamentaires, mais aussi dans l’intérêt de votre propre gouvernement, que ceux qui vous ont suggéré cette mesure ne connaissaient pas les faits, et qu’ils ont méconnu toutes les règles du droit et de l’équité. En fait, il y a une exagération extrême elle est au moins de moitié dans l’évaluation des biens de la famille d’Orléans. En droit, elle viole dans son essence le principe même de la propriété. Ce droit de propriété a été reconnu, après une discussion solennelle, dans la personne du feu roi, par les articles 22 et 23 de la loi du 2 mars 1832, et dans la personne de ses enfans par les actes mêmes de la révolution de février, par le décret de l’assemblée constituante du 25 octobre 1848, et par la loi de l’assemblée nationale du 4 février 1850, promulguée par votre gouvernement, et qui a autorisé l’emprunt de 20 millions hypothéqué sur ces biens et souscrit par votre ministre des finances. Ainsi droit public, testament, lois spéciales, contrat, tout a reconnu dans la main des princes d’Orléans la propriété des biens que le décret du 22 janvier courant lui enlève d’un trait et d’une manière si absolue, que le droit sacré des tombeaux, la sépulture de Dreux n’est pas même exceptée[1] !

« Si la constitution du 15 janvier était en vigueur, il y aurait lieu de réclamer auprès du sénat en vertu de l’article 26, qui permet à ce corps « de s’opposer à la promulgation des lois qui seraient contraires à l’inviolabilité de la propriété. » Dans l’état présent des choses, on ne peut réclamer qu’auprès de vous, prince, en invoquant la sagesse et l’élévation de vos propres sentimens, interrogés de nouveau et mieux écoutés. Si ces mesures rigoureuses doivent être maintenues, un grand scrupule s’élève au fond de ma conscience. Procureur-général à la cour de cessation depuis bientôt vingt-deux ans, principal organe de la loi près de cette juridiction suprême, chargé par le gouvernement de proclamer incessamment le respect du droit, de requérir la cassation ou l’annulation des actes qui violent les lois, et qui constituent des incompétences ou des excès de pouvoir, comment pourrais-je le faire désormais avec assurance, si l’on introduit dans la législation des actes qui seraient en contradiction avec les principes?

« Je crois donc devoir vous donner ma démission; mais ici, prince, je

  1. Une note insérée au Moniteur déclara, quelques jours plus tard, que les sépultures de Dreux et de Neuilly n’étaient pas comprises dans la réunion au domaine de l’état. Depuis cette époque, les deux chapelles ont été administrées et entretenues aux frais des héritiers du roi Louis-Philippe.