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l’article des princes. — Vous en parlez à votre aise, réplique Dupin. Comment les appeler? — Parbleu! m’écriai-je, impatienté, demandez-le au général Cavaignac; il ne sera pas embarrassé comme vous, il sait bien comment ils s’appellent. » Alors Cavaignac, se retournant, lance à Dupin un regard que je n’oublierai jamais : « Comment! vous avez oublié leurs noms? Je les sais bien, moi; ils s’appellent le duc d’Aumale et le prince de Joinville, et, tout républicain que je suis, je ne les oublierai jamais! » Dupin baissa la tête et écrivit.

Quelques jours après, le décret fut soumis au vote de l’assemblée nationale sans le cortège des mots déprimans et fort peu académiques du langage officiel d’alors, tels que l’ex-roi, l’ex-famille royale (une ex-famille!), l’ex-duc, l’ex-prince. Au moment de la lecture de l’article contenant les deux titres, une rumeur parcourut les bancs de l’extrême gauche, mais se comprima presque aussitôt d’elle-même. Telle est, disons-le à l’honneur de la mémoire du général Cavaignac, telle est la puissance d’une pensée généreuse quand elle s’élève au-dessus des petitesses de la passion pour respecter ceux-là même dont elle reste, en politique, l’irréconciliable adversaire. Enfin, en se reportant à la scène intérieure que je viens de décrire, n’y trouve-t-on pas l’éclatante manifestation des deux caractères que l’histoire a déjà jugés, n’y reconnaît-on pas d’avance Cavaignac descendant noblement de son siège et Dupin remontant tristement sur le sien?

On le voit par ce qui précède, le génie de la confiscation, aidé de l’art des interprétations perfides, contenu d’abord par les efforts de plusieurs des membres du gouvernement provisoire, était définitivement vaincu dans les conseils de la république. Qu’allait-il se passer dans le grand conseil de la nation, dans le sein de l’assemblée nationale? La question y avait été soulevée directement dès le 5 juillet dans les conditions les plus propres à l’éclairer d’une vive lumière. Un député, M. Jules Favre, cédant à des préoccupations exclusives auxquelles il devait bientôt renoncer, hâtons-nous de le dire, par son abstention et son silence le jour de la discussion, avait déposé sur le bureau de l’assemblée une proposition qui avait pour objet de « déclarer acquis au domaine de l’état les biens composant le domaine privé de l’ex-roi Louis-Philippe. » Cette proposition avait été renvoyée par l’assemblée nationale à son comité des finances, qui appela M. Jules Favre dans son sein pour en exposer les motifs. On vit apparaître alors publiquement et pour la première fois cette doctrine de la dévolution du domaine privé à l’état au moment de la proclamation de la royauté de Louis-Philippe, dont les passions politiques n’avaient pas sérieusement jusque-là songé à se faire une arme de confiscation. Suivant M. Favre, la