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J’avais à peine reçu cette lettre, que mon parti fut pris, et je répondis : « Les instructions de votre majesté seront exactement suivies. J’interromprai jusqu’à nouvel ordre toutes les démarches que j’avais commencées. Cela dit, vous me permettrez d’ajouter que j’ai été le camarade du général Cavaignac à l’École polytechnique, que nous nous y sommes liés d’une amitié qui, fondée sur une estime réciproque, a facilement résisté à la divergence de nos opinions politiques; que ce qui s’est passé avec le général Dumas est pour moi une occasion toute naturelle de lui donner une nouvelle preuve de cette estime et de cette affection en allant lui dire ce que je pense de ses procédés à propos des graves objets dont Dumas voulait l’entretenir. Je vais donc aller le voir, non pour lui parler des intérêts de votre majesté, mais pour l’entretenir de lui-même, de ce que je regarde en toute vérité comme étant de son devoir, de son honneur, de l’honneur même de son gouvernement. » En effet, sans attendre de réponse, je me rendis chez Cavaignac, et trois jours après je pouvais transmettre au roi des explications qui devaient me permettre non-seulement de reprendre mes négociations avec le liquidateur général de la liste civile et du domaine privé, mais de les porter jusque dans la sphère la plus élevée du gouvernement sous les auspices d’une vieille amitié que la forme assez originale de ma démarche avait heureusement rajeunie.

« Tu as raison, m’avait dit Cavaignac dès les premiers mots par lesquels je lui faisais connaître le motif qui m’amenait auprès de lui. J’ai eu tort de prendre si mal des expressions bien naturelles dans la bouche du général Dumas; mais que veux-tu, je suis le chef du gouvernement français, et je me suis imaginé que le général Dumas m’apportait des paroles de puissance à puissance. Et puis, quand il s’est blessé de ma vivacité, je me suis figuré qu’il me parlait le poing sur la hanche et la main appuyée sur le pommeau de son épée. Oublions donc ce qui s’est passé ce jour-là. La république que je veux, et que je sers avec toute l’énergie de mes convictions si bien connues de toi, est le terrain de l’honnêteté et du droit, ou elle n’est rien. Je suis donc sûr qu’en nous plaçant sur ce terrain commun à tous les honnêtes gens nous saurons bientôt trouver une solution qui, en donnant satisfaction au principe du droit que tu représentes, s’inspire, sur tous les points, de la prudence dont il est de mon devoir d’entourer cet acte. »

Les dernières paroles du chef du pouvoir exécutif contenaient en germe les trois dispositions principales du décréta intervenir, — reconnaissance explicite du droit de propriété, allocation d’une provision annuelle en faveur des propriétaires, séquestre provisoire pour tout le reste. Elles furent bientôt adoptées par un accord entre le général Cavaignac, son conseil des ministres et le comité des finances