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la propriété, resteront-ils sacrés aux yeux des nouveaux maîtres de la France? Le respecteront-ils sous sa forme la plus propre à donner satisfaction à leurs penchans révolutionnaires, à leurs haines et aux calomnies qui avaient tant contribué à la chute de Louis-Philippe? Quelle bonne occasion de confondre de nouveau la question des apanages et du domaine de la couronne avec celle des biens patrimoniaux de la famille d’Orléans! L’état n’avait besoin à ce moment que d’un mot pour reprendre sans résistance son bien prétendu, et ce mot dépendait d’un gouvernement dictatorial composé presque entièrement des ennemis les plus acharnés de la monarchie de 1830.

Hâtons-nous de le dire, ce mot n’a pas été prononcé : quelques énergumènes qui avaient à peine un écho dans le gouvernement provisoire[1] avaient parlé de confiscation; personne n’avait mis en avant la combinaison cauteleuse et perfide qui devait plus tard lui servir de prétexte. C’est un témoignage personnel qu’il m’est permis d’apporter ici, car depuis l’abandon fatal auquel j’ai si douloureusement assisté le 24 février, je n’ai pas quitté Paris un seul instant, si ce n’est pendant quelques heures pour mettre le roi en sûreté à Saint-Cloud à la tête de cinquante gardes nationaux de la brave légion de cavalerie que j’avais l’honneur de commander. Il m’a donc été donné d’assister au spectacle des tentations que la passion politique faisait aisément pénétrer dans le sein du gouvernement provisoire, et même de m’y mêler en faisant entendre plus d’une fois à quelques-uns des membres de ce gouvernement la voix de la justice et de la vérité. Pendant les premiers jours, j’étais sans partage à mes douleurs de citoyen en même temps qu’aux espérances que les regrets de l’immense majorité du pays me permettaient de conserver encore; j’en suivais avec anxiété les moindres lueurs dans ce Paris moins révolutionnaire au fond que sa récente révolution. Je fus bientôt ramené par la force des choses au triste sentiment de la réalité et à la douloureuse conviction que la monarchie constitutionnelle avait essuyé une défaite dont elle ne devait pas se relever de longtemps. Je me livrai tout entier et spontanément à la mission de lutter, s’il le fallait, à tous les degrés pour sauver du moins les épaves matérielles du grand naufrage politique que je m’étais efforcé de prévenir par des avis qui n’avaient pas été écoutés. L’occasion ne se fit pas longtemps attendre.

M. Marrast fut le premier membre du gouvernement provisoire avec lequel je me trouvai en rapport. Pressé de faire des recherches qui devaient dans sa pensée fournir la preuve des accusations dont

  1. Le gouvernement provisoire se composait de MM. Dupont (de l’Eure), Lamartine, Crémieux, Arago, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Mario, Armand Marrast, Louis Blanc, Ferdinand Flocon, et Albert, ouvrier.