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même point éclataient au milieu des travailleurs sans les décourager. Pendant cinquante-six heures quatre-vingts pièces de gros calibre vomirent ainsi sur la ville près de 22,000 obus. Trente bâtimens étaient brûlés, plus de cent maisons détruites ; il ne restait de la citadelle que des pans de murailles noircis et percés à jour. Quoiqu’une partie des habitans se fût réfugiée et eût vécu dans les caves, la population civile comptait plusieurs victimes : 66 soldats, presque tous artilleurs, avaient été mis hors de combat. Ce fut une consolation d’apprendre que l’ennemi, de son côté, avait éprouvé des pertes, et que les batteries prussiennes de la côte Saint-Michel, envoyant maladroitement leurs projectiles par-dessus la place, avaient tué à Glorieux des soldats et des officiers prussiens.

Quand le bombardement fut terminé, un parlementaire ennemi se présenta pour demander un échange de prisonniers. Le général Guérin de Waldersbach écrivit aussitôt au commandant des troupes prussiennes avec l’indignation d’un vieux soldat peu préparé aux scènes lamentables qu’il venait d’avoir sous les yeux. « Je profite de cette lettre, disait-il, pour vous exprimer le sentiment qui pénètre chez moi sur la manière dont vous avez attaqué la ville de Verdun ; j’avais pensé jusqu’à ce jour que la guerre entre la Prusse et la France devait être un duel entre les deux armées, et j’étais loin de m’imaginer que des habitans inoffensifs, des femmes et des enfans, verraient leur fortune et leur vie si injustement engagées dans la lutte. Si vous pensez, général, que cette manière d’agir de votre part, que je me dispense de qualifier, peut contribuer en quoi que ce soit à hâter la reddition de la place, vous êtes dans une profonde erreur ; car ce que les habitans ont souffert jusqu’à ce jour n’a contribué, vous pouvez me croire, qu’à augmenter chez eux l’abnégation que commandent leur position et leurs sentimens patriotiques. Ni la pluie des bombes et des boulets, ni les privations auxquelles la garde nationale et l’armée peuvent être exposées ne les empêcheront de faire leur devoir jusqu’au dernier moment. » Ainsi pensaient en effet les habitans ; le maire de la ville remercia le jour même le commandant supérieur de la place d’avoir si bien exprimé les sentimens de tous.

On s’attendait à un nouveau bombardement ; pour le prévenir et pour épargner à la ville de cruelles épreuves, le général Guérin de Waldersbach prescrivit deux sorties où il se proposait de détruire les travaux de siège de l’ennemi. La première eut lieu dans la nuit du 17 au 18 octobre, la seconde dans la nuit du 27 au 28 du même mois. Toutes deux réussirent, quoique la seconde fût chèrement achetée par une lutte sanglante au village de Thierville. On surprit les Prussiens endormis près de leurs pièces, on bouleversa leurs ouvrages, on tua des artilleurs, on ramena des prisonniers, on