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M. Violard, le propriétaire du cheval incriminé, était demeuré complètement étranger à ce drame. Ce n’était pas lui, ce n’étaient même pas des habitans de Charny qui avaient prévenu les francs-tireurs de la présence des Prussiens, on ne l’en accusait pas, on l’accusait simplement d’avoir fourni une monture quelques jours auparavant pour aller chercher des gendarmes français à Verdun. Cette seule charge relevée contre lui suffit pour le faire condamner. Il fallait une victime, on voulait venger la mort des deux officiers prussiens et remplir de terreur la population, M. Violard fut désigné ; après avoir emprisonné le maire, l’adjoint et plusieurs notables de Charny, on ne trouva que lui contre lequel on pût échafauder l’apparence d’une accusation. On fit semblant de le juger, on se livra à une enquête, on le soumit à de nombreux interrogatoires, on entoura sa condamnation du mensonge d’un appareil juridique, et quand la lugubre comédie du jugement fut terminée, quand la méthodique Allemagne eût rassuré sa conscience par l’hypocrisie des formes employées, elle fit fusiller sans merci l’infortuné prisonnier. « M. Violard, disait le texte du jugement, avait manifesté de mauvaises intentions à l’égard de l’armée allemande et par conséquent mérité la mort. » Il eût été plus simple de dire que, deux officiers de marque ayant été tués dans le village de Charny, on choisissait une victime expiatoire parmi les notables du pays.

Après une violente canonnade, qui sembla n’avoir d’autre but que d’essayer la portée des pièces de siège, l’ennemi se rapprocha de la place au commencement d’octobre et resserra le blocus. Des sentinelles gardaient toutes les hauteurs, surveillaient les chemins, et ne laissaient personne traverser les lignes prussiennes. On ne permettait même pas aux cultivateurs de travailler dans les champs ; quelques-uns de ceux qui essayèrent de violer la consigne reçurent des coups de fusil. On raconte cependant l’odyssée d’un paysan qui parvint à franchir le cordon de sentinelles en se faisant accompagner jusqu’à une certaine distance par sa petite fille, — qui, tantôt se détournant, tantôt revenant sur ses pas, parcourut environ deux cent soixante lieues pour éviter les postes prussiens, pénétra dans Paris pendant le blocus, y apporta à M. X. Marmier des dépêches du général, réussit à en sortir et même à rentrer dans Verdun.

Malgré les précautions prises par l’ennemi pour empêcher toute communication entre la place et les villages voisins, le bruit se répandait à Verdun que d’énormes pièces d’artillerie et de longs convois de munitions arrivaient chaque jour au camp prussien. On prévoyait une attaque, ce fut un bombardement qu’on eut à subir. Les scènes de Strasbourg et de Toul se reproduisirent alors. Les bombes allumaient l’incendie, et chaque fois qu’on essayait d’éteindre le feu, des projectiles dirigés avec persistance sur le