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de là, en aveugle, dans le vide, à la recherche d’un nouveau centre d’attraction. Cette désagrégation ou état atomistique ne se présente dans l’histoire que comme un fait de fatalité ; elle ne s’opère qu’à la suite de longs malheurs, réitérés pendant des siècles à des distances trop rapprochées pour que le pouvoir réparateur de la société puisse égaler le pouvoir de destruction de la force ennemie. C’est ce qui a eu lieu dans le monde romain lors de l’invasion des barbares, c’est ce qui a eu lieu encore à la destruction de l’empire de Charlemagne. Ainsi la commune, comme moyen de progrès, nous proposait sérieusement de nous mettre d’un cœur léger dans l’état où nous serions, si vingt invasions allemandes, comparables à celle que nous avons dû subir, avaient pendant deux siècles brisé parmi nous tout lien social par leurs efforts réitérés. Comme perspective de bonheur et de grandeur, une fois échappés à ce chaos, nous avions la chance de revenir sans doute soit aux divisions des clans celtiques, soit au morcellement féodal ; favorisés eussions-nous été si le hasard des circonstances propices nous avait élevés jusqu’au degré de puissance des mille petites républiques de l’Italie du moyen âge. Je n’ai pas besoin de beaucoup insister pour montrer comment une doctrine semblable est la négation la plus enfantine de l’idée de patrie, et je passe à une autre opinion.

La seconde opinion n’est pas sortie jusqu’à présent des sphères de la discussion, et, espérons-le, n’en sortira pas. Modérée dans la forme, elle ne prouve cependant qu’une chose, c’est que la révolution porte à ses propres doctrines un médiocre intérêt, et qu’il ne lui en coûte rien de se de juger lorsque les faits semblent aller à l’encontre des dogmes politiques qu’elle a émis. S’il fut jamais en effet une opinion qui eût pour elle force de dogme, c’est bien celle de l’unité et de l’indivisibilité de la patrie, qui dans les conciles de la vieille montagne fit prononcer tant de sermons fiévreux et de prônes furibonds aux pères et aux pontifes de la démocratie. Ce fut le premier article du credo de la terreur, le shibboleth dont la prononciation faisait reconnaître immédiatement l’orthodoxie révolutionnaire. Vous vous rappelez cette terrible accusation de fédéralisme qui envoya les girondins à la mort, promena l’échafaud dans tant de provinces, et fit couler tant de sang. Eh bien ! voilà qu’au bout de quatre-vingts ans une fraction de la démocratie, et non la moins jacobine, s’apercevant enfin que cette centralisation excessive qui fut leur idole rend toute liberté sérieuse fort difficile, et ne vaut rien surtout pour des hommes qui sont plus souvent dans l’opposition qu’au pouvoir, s’avise de reprendre à son compte le système que les girondins n’avouèrent jamais expressément, le dépasse même, et parle d’organiser la France par groupes géographiques. Ainsi voilà la révolution qui rêve de relever les