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les guerres d’état à état, pourra-t-il, dans l’avenir, résister à l’empire panslave, démocratie égalitaire et satisfaite sous un chef héréditaire et absolu ? Il ne faut point s’étonner que de semblables visions de grandeur future s’enracinent dans l’imagination des Russes, puisqu’elles s’offrent à notre esprit, à nous qui ne songeons guère à ce passé de l’empire des tsars et à l’avenir qu’il semble présager.

Cependant deux obstacles s’offrent à la réalisation de ce rêve éblouissant. D’abord le monde germanique ne se laissera pas asservir sans une lutte à mort ; ensuite, difficulté moins sérieuse peut-être, mais plus actuelle, les provinces occidentales ne sont pas purement russes. Les classes élevées, les propriétaires, les prêtres, les bourgeois, sont ou Polonais, ou Allemands, ou Suédois. Quand les Ruthénies et la Lithuanie se furent réunies à la Pologne au XIIIe siècle, les nobles subirent l’influence d’une civilisation plus avancée et se polonisèrent. D’orthodoxes grecs, ils devinrent même catholiques, parce que, ayant embrassé la réforme au XVIe siècle, ils furent reconvertis par les jésuites, qui les firent entrer dans l’église de Rome. Les classes supérieures, ainsi restées, dans les provinces du Dnieper, polonaises de cœur, de foi et de langue, constituent un sérieux obstacle et un danger pour le panslavisme : aussi travaille-t-on à le faire disparaître suivant le procédé recommandé par le général Fadéef. On excite les paysans contre les propriétaires en leur faisant entrevoir que la terre doit leur revenir un jour. Dans tout différend avec ses locataires, le propriétaire est toujours sacrifié. Quand, excédé ou ruiné, il vend ses biens, on fait en sorte qu’ils arrivent aux mains des Ruthènes russifiés. Avec du temps et de l’argent, la russification complète ne peut manquer de s’accomplir. Le système se perfectionne chaque jour.

Le programme des patriotes exaltés, fauteurs du panslavisme, est que dans l’empire il ne doit plus y avoir qu’une langue, le russe, et qu’une religion, la grecque orthodoxe. Le gouvernement semble poursuivre la réalisation de ce plan avec des intermittences de violence et de relâchement. En Pologne, on l’applique avec une rigueur parfois extrême. On s’est même attaqué à la Finlande et à la Livonie ; mais là on s’est heurté à la ténacité et aux susceptibilités de la race germanique, et ainsi est née la question des provinces baltiques, dont il faut bien dire quelques mots.

Le grand-duché de Finlande a été enlevé à la Suède par le traité de Frederikshamm en 1809. Il n’avait alors que 900,000 habitans, il en comptait en 1860 1,724,000. Il a conservé une autonomie complète, et n’est réuni à l’empire que par un lien tout personnel, la communauté du souverain. La plus grande partie de la