Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant le règne de Catherine s’accomplissent les trois partages successifs de la Pologne, — 1773, 1793 et 1794, — qui apportent une notable extension vers l’ouest. Au traité de Paris de 1763, la Russie avait été reconnue comme une des cinq grandes puissances européennes, et, par le traité de Kainardji en 1774, elle avait pris sous sa protection les populations chrétiennes de la Turquie et acquis la Crimée. L’Amérique russe est occupée sous le même règne, et en 1795 le duché de Courlande se réunit à l’empire par un vote des états. Paul, qui règne de 1796 à 1801, prend la Géorgie et le massif du Caucase, d’où l’on domine à la fois la Perse et la Turquie d’Asie. La région transcaucasique n’a été définitivement soumise qu’en 1863, après quatre-vingts ans de guerre continuelle contre les Tcherkesses musulmans. Sous Alexandre Ier, de 1801 à 1825, l’empire acquiert la Finlande, enlevée à la Suède, la Bessarabie et une partie de la Moldavie jusqu’au Pruth en 1812, le royaume de Pologne en 1815, et il obtient le protectorat des principautés danubiennes, aboli au traité de Paris en 1855. Sous Nicolas Ier et Alexandre II, c’est en Asie que la Russie s’est étendue ; elle a occupé tout le bassin de l’Amur, territoire énorme et fertile, qui la fait déboucher dans les mers du Japon, puis l’Aral, le Syr-Daria, presque tout le Turkestan, ce qui la conduit presque aux portes de l’Inde. Aujourd’hui la superficie de l’empire russe est en Europe de 5,700,000 kilomètres carrés, ce qui dépasse l’étendue de tous les autres états européens réunis. Avec les 14,481,000 kilomètres de la Russie asiatique, la superficie totale est deux fois plus grande que celle de toute l’Europe. La population doit être d’environ 80 millions d’âmes. En 1722, elle ne s’élevait qu’à 14 millions, et en 1815 à 45 millions. En défalquant les annexions, on constate un accroissement de la population de 90 pour 100 en soixante-dix ans.

Depuis qu’elle s’est reconstituée au XVIe siècle, la Russie s’est donc agrandie constamment, et l’on comprend que les Russes, en présence de cet accroissement pour ainsi dire organique, aspirent à s’avancer jusqu’au centre de l’Europe en réunissant sous leurs lois tous les Slaves, et à conquérir toute l’Asie, même l’Inde anglaise, au moins jusqu’à la Chine. Pourquoi le tsar, régnant à Byzance, ne rétablirait-il pas l’empire romain, qui cette fois serait vraiment l’empire universel ? Les Slaves sont les derniers venus et le plus jeune rameau de la race aryenne. De même que les Germains ont conquis jadis le monde latin, la destinée des Slaves n’est-elle pas de se soumettre à la fois les Germains et les Latins ? L’unité du commandement est une grande force ; d’autre part, le communisme russe, si on le généralise scientifiquement, empêchera les luttes de classe de se produire. Comment l’Occident, miné par la guerre des riches et des pauvres, par l’instabilité des pouvoirs électifs et par