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Polonais sont maintenant tout dévoués à l’Autriche, parce que c’est avec son concours qu’ils espèrent un jour rétablir leur nationalité. C’est pour arracher des mains de la Russie l’arme du panslavisme que l’empereur François-Joseph s’est décidé à faire de si grandes concessions aux Tchèques. Si les Slaves occidentaux peuvent espérer poursuivre leur développement national sous l’égide de l’Autriche-Hongrie, sans avoir à craindre d’être asservis, germanisés ou magyarisés, c’est en vain que la Russie les appellera sous la bannière du panslavisme. Ce ne serait que dans le cas où les Hongrois et les Allemands voudraient opprimer les Slaves et leur refuseraient les satisfactions auxquelles ils ont droit que le programme russe pourrait se réaliser. Les événemens de la Galicie en 1846 doivent servir de leçon à cet égard.


IV

A la fin de son écrit, le général Fadéef examine quel sera l’avenir de la Russie. D’après lui, de sérieux dangers le menacent, et il faudra pour y échapper une grande habileté et une prompte résolution au moment décisif, ce qui suppose, bien entendu, une armée aussi nombreuse et aussi bien équipée que peuvent le permettre les ressources financières de l’empire. Le danger vient de l’ambition envahissante de la race germanique et de sa « poussée » constante vers l’est, du Drang nach Osten. L’empire germanique, si on ne l’arrête pas, germanisera la Bohême en absorbant les Tchèques, puis par les Magyars il s’emparera du Bas-Danube, fera de la Mer-Noire un lac allemand, et rétablira la Pologne sous l’influence allemande. La Russie devra donc combattre pour sa frontière actuelle, et, vaincue, elle sera rejetée au-delà du Dnieper. Si elle ne trouve pas un moyen de résister, elle cessera presque d’être une puissance européenne. Autrefois, à condition qu’elle se tînt coi, on l’aurait peut-être épargnée dans les limites qu’elle avait au XVIIIe siècle ; mais maintenant qu’elle s’avance par la Pologne comme un coin au centre de l’Europe, et qu’elle s’est donné pour mission de sauver les populations orthodoxes et slaves de la suprématie germanique, il est trop tard : elle sera un jour attaquée, et, si elle se contente de la défensive, elle aura bien des chances d’être battue. Le seul moyen de triompher, c’est d’arborer ouvertement le drapeau du panslavisme et de gagner à cette idée tous ses frères de l’Occident opprimés par des maîtres orgueilleux. Ces tribus slaves pourront un jour lui amener un renfort de 300,000 ou 400,000 hommes, braves et enflammés pour la cause nationale. Si même dans ces conditions la Russie devait succomber, elle resterait le représentant, le martyr d’une grande idée, comme l’Italie l’a été après sa défaite de Novare.