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les Russes et des services réels rendus par les Polonais, et que ravivait chaque explosion nouvelle des idées révolutionnaires. Pour l’Autriche au contraire, la question polonaise est un intérêt vital, d’abord parce qu’elle possède une partie de la Pologne, la Galicie, ensuite parce que, si les Polonais sont pour elle, elle tient la Russie, tandis que, si les Polonais devaient se tourner contre elle, ce serait la Russie qui la tiendrait. Il n’est pas un homme éclairé en Autriche ou en Hongrie qui ne sache que la Pologne hostile élève entre les Russes et les Slaves occidentaux une barrière infranchissable, qu’au contraire la Pologne réconciliée est un pont qui ouvre à la Russie les autres pays slaves et le centre de l’Europe.

Avec la haine qui anime actuellement les Polonais contre les Russes, l’Autriche peut, au moyen de la Galicie, porter au cœur de son ennemie la plus formidable insurrection. Pour dompter la Pologne en 1863, quand elle était livrée à ses propres forces, il a fallu deux ans ; quelle puissance n’aurait-elle pas, si elle était pourvue de fusils, de canons, d’officiers, et appuyée sur une armée austro-hongroise ! La Russie ne peut se défendre par le même moyen, parce que les Slaves autrichiens ne sont pas prêts à s’insurger, et parce que l’Europe, y compris la Prusse, ne permettrait pas le démembrement de l’Autriche par la Russie triomphante. Tant que la Pologne résiste, le panslavisme ne peut prendre corps, et l’Autriche dispose d’une arme plus terrible que le canon rayé, arme dont son adversaire ne peut faire usage. Fait étrange, mais évident, c’est la Pologne au tombeau qui arrête encore les armes russes sur le chemin du Danube ! L’obstacle est tout moral ; c’est un sentiment ; mais à moins de le changer ou d’égorger les millions d’hommes qui le partagent, l’obstacle est absolu. C’est à Varsovie que le tsar doit conquérir les clés de Constantinople.

Comment résoudre dans le sens russe la question polonaise, à laquelle la question d’Orient est si intimement unie ? Voici les vues du général Fadéef à ce sujet. La difficulté n’est pas la même dans le royaume de Pologne que dans les provinces situées entre ce royaume et le Dnieper. Ces provinces faisaient autrefois partie de la république, mais elles sont habitées par des populations russes de sang ou grecques orthodoxes de religion. L’aristocratie et environ un dixième des habitans sont Polonais. Il n’en est pas moins vrai, le général Fadéef l’avoue, que ces familles dévouées à la Pologne suffiraient pour entraîner le pays dans l’insurrection. Il faut donc travailler avec énergie et persévérance à russifier ces provinces ; on y parviendrait en consacrant pendant quatre ou cinq ans, une dizaine de millions de roubles chaque année à faire passer la terre entre des mains russes. Ce serait une dépense de guerre qui épargnerait des centaines de millions qu’il faudrait employer à