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intérêt à s’entendre avec l’autre. De là est sortie l’entrevue de Gastein, qu’on peut appeler un contrat de garantie mutuelle.

A la suite des changemens récens, la situation de la Russie est-elle devenue pire ou meilleure ? Elle s’est empirée en ce que la Russie ne peut plus compter sur des concessions en Orient de la part de la Prusse, qui désormais est tenue de protéger partout l’intérêt allemand ; mais elle s’est améliorée en ce que, la triple alliance austro-franco-anglaise étant brisée, la Russie n’a plus à craindre l’hostilité de la France en Orient ni en Pologne. Elle peut même espérer un jour obtenir son concours en le payant à sa valeur. Somme toute, il est probable que la Russie a gagné quelques points d’avance. Elle avait contre elle en Orient toute l’Europe sans exception ; aujourd’hui l’Europe est divisée par une question plus aiguë que celle d’Orient. La Russie peut croire qu’elle saura au moment opportun tirer parti de cette division.


III

Après avoir établi que la Russie ne pouvait compter sur aucun allié pour l’accomplissement de ses desseins, en 1869, bien entendu, le général Fadéef se demande quel secours elle pourrait espérer des sympathies des Slaves. Il examine encore ce point avec une justesse de vues irréprochable et une parfaite absence d’optimisme. Il constate que chez les uns ces sympathies sont encore très peu éveillées, que chez les autres elles seraient impuissantes. Les Ruthènes et les Bulgares sont les mieux disposés en faveur de la Russie mais ils manquent de culture, de vie propre, d’initiative. Les premiers, asservis aux Polonais, ne bougeraient point, et les seconds, longtemps écrasés par les Turcs, commencent seulement à élever les regards au-delà du sillon qu’ils ouvrent avec la placidité de la bête de somme, leur compagnon de labeur. Si les Tchèques et les Croates invoquent souvent le nom de la Russie, c’est principalement comme moyen d’intimidation contre l’Autriche. Les Serbes, la seule tribu slave qui ait reconquis son indépendance, conservent sans doute quelque reconnaissance à la Russie de l’appui qu’elle leur a toujours prêté ; mais ils sont prudens, très jaloux de leur autonomie, et ils craindraient probablement une prépondérance trop grande de leur puissante alliée. Les Slaves autrichiens enrégimentés marcheraient même contre les Russes, comme les Hongrois se battaient naguère contre les Italiens, quoique l’intérêt des deux peuples fût identique. Actuellement, la Russie ne peut attendre aucun secours efficace des nationalités slaves de l’Autriche ou de la Turquie ; cependant, d’après le général Fadéef, la Russie peut