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des nationalités, ne faisait-il pas le jeu des féodaux et des ultramontains ? Tout cela est possible ; mais y n’en est pas moins évident qu’il fallait faire quelque chose pour ramener les Slaves, dont le mécontentement, augmentant sans cesse, peut aboutir à l’insurrection ouverte. Seulement, en entrant dans cette voie, il est impossible de ne pas irriter profondément les Allemands, habitués à gouverner l’empire et convaincus que la supériorité de culture leur donne un droit inattaquable au pouvoir. Or mécontenter les Allemands, c’est les pousser vers la grande Allemagne, dont les victoires et l’éclat littéraire les attirent déjà, et qui, elle au moins, les sauverait de la prépondérance détestée des Slaves. Telle est donc la situation de l’Autriche : si elle ne fait rien pour les Slaves, elle les jette dans les bras de la Russie, et, si elle leur donne satisfaction, elle pousse les Allemands dans les bras de la Prusse. Du moment qu’elle se décide à céder aux exigences slaves, elle doit obtenir de la Prusse que celle-ci ne profite point du mécontentement des Autrichiens allemands pour les attirer à elle. Voilà l’intérêt vital qui force le cabinet de Vienne à oublier ses anciens griefs pour obtenir sinon l’amitié, au moins la bienveillante abstention du cabinet de Berlin.

Maintenant, pourquoi Berlin ferait-il cette concession ? Pourquoi, après avoir fait la guerre de 1866 dans le dessein de reconstituer à son profit l’empire germanique, ne pas saisir une occasion si favorable d’y faire rentrer les Allemands de l’Autriche ? La tentation a pu être grande, mais la prudence commandait d’y résister. Les dangers qu’une ambition trop impatiente aurait provoqués étaient visibles. D’abord il aurait fallu compter avec l’hostilité de la France, et la Russie aurait aussi opposé son veto. D’un autre côté, l’Autriche, quoique intérieurement minée par le conflit des nationalités, est encore une puissance de premier ordre ; vouloir lui arracher ses provinces allemandes malgré la France et la Russie, c’était évidemment trop risquer. En outre, si l’empire germanique ne s’annexe que les provinces allemandes, il voue le reste de l’état autrichien au chaos, et par suite le livre au panslavisme et à la Russie. Toute offensive de la part de la Prusse sera donc prématurée aussi longtemps que l’Autriche offrira quelque cohésion, et que l’empire germanique ne sera pas prêt à prendre d’un coup et complètement la place de l’empire des Habsbourg. Manifestement le fruit n’est pas mûr. Comme d’autre part la Prusse a les mêmes intérêts que l’Autriche sur le Danube, qu’elle doit en désirer l’appui pour défendre sa position acquise, elle peut, pour l’obtenir, renoncer à exciter les ; Allemands de l’Autriche et à les accueillir. On voit que chacune des deux puissances allemandes avait en ce moment le plus grand