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l’électeur Frédéric, le premier roi, jusqu’à nos jours, et elle a toujours eu un caractère très intime, fortifié de temps en temps par des mariages entre les deux familles souveraines. Elles avaient deux grands intérêts communs : le dépècement de la Pologne d’abord, celui de l’Autriche ensuite ; mais depuis que l’Autriche, expulsée de la confédération, a cessé d’être un rival à redouter et que la petite Prusse est devenue la grande Allemagne, celle-ci se croit tenue de défendre les intérêts allemands sur le Danube aussi bien que sur le Rhin. Jamais elle ne permettra que le fleuve qui, après avoir arrosé tant de territoires allemands, débouche dans la Mer-Noire, tombe aux mains des Russes. On a chanté la garde sur le Rhin, die Wacht am Rhein, contre la France ; on chanterait de même la garde sur le Danube, die Wacht an der Donau, contre la Russie. Le grand reproche que les Allemands ont fait à l’Autriche, c’est de n’avoir pas su germaniser ses populations slaves ; que diraient-ils si la Prusse livrait aux Moscovites des territoires qui doivent rester ouverts aux conquêtes futures de la civilisation germanique ?

Les Allemands voient clairement le danger dont les menace le panslavisme, car ce danger grandit sous leurs yeux. Les Magyars en sont plus frappés encore, car ils sont plus directement menacés. L’alliance de la Prusse et de la Hongrie est pour ainsi dire forcée, car elles ont le même ennemi à combattre. Les Hongrois sont l’avant-garde des Germains contre les Slaves ; aussi ces jours derniers sont-ils accourus à Vienne au secours des Allemands contre les Tchèques. L’Autriche a vu sans regret un Hohenzollern s’établir à Bukarest. C’était encore un tour de Bismarck, disait-on ; non, le prince Charles était un Allemand, et pour l’Autriche cela suffisait : c’était nécessairement un allié. « La fin de sa lutte contre la Prusse, dit le général Fadéef, et son alliance avec elle donneront à l’Autriche une bien plus grande force qu’une alliance avec la France, qui serait toujours incertaine et intermittente. La contiguïté des territoires, l’identité des intérêts en Orient, le sentiment populaire de part et d’autre, les sympathies de race rendent l’alliance prussienne beaucoup plus avantageuse. Si la situation de la Russie était déjà difficile quand l’Autriche protégeait la Turquie, maintenant que la Prusse protège l’Autriche, elle l’est devenue bien davantage. Un triple rang de boucliers défendent désormais le Balkan. » N’oublions pas que ceci était écrit en décembre 1869 ; c’est le programme de Gastein tracé deux ans à l’avance.

On s’est étonné en France de la réconciliation si cordiale qui semble avoir eu lieu entre la cour de Vienne et celle de Berlin. Comment, a-t-on dit, la victime peut-elle serrer la main du bourreau ? C’est que, quand il s’agit du salut d’un empire,