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depuis un siècle, s’est opéré surtout dans le sens du développement de certains impôts directs, notamment en Angleterre, en Allemagne, en Amérique et en Suisse. » Le fait de cette augmentation est vrai, mais voit-on que ce soit en général par la réduction des taxes indirectes qu’il s’est traduit ? Je ne nie pas la tendance pour les petits états ; est-elle la même dans les grands ? Est-ce à titre d’impôt favorable à la liberté que l’Angleterre s’est résignée à l’income-tax ? Comment oublier qu’il est plus facile à un gouvernement de faire de l’impôt direct, qu’il a dans la main, un instrument d’oppression, que d’abuser des taxes de consommation qui se refusent, dès qu’il y a surcharge ? On peut écraser des propriétaires et des capitalistes par le poids d’une taxation arbitraire et les soumettre à des vexations tyranniques. Essayez donc de traiter en séditieux tout un peuple qui restreint ses achats !

Quel pays plus que l’Angleterre offre une preuve éclatante de la coexistence de la liberté politique avec la préférence donnée aux taxes indirectes ? Que, sous l’empire de nécessités impérieuses, elle ait demandé à l’income-tax environ le dixième du revenu public, faut-il y voir autre chose qu’une preuve de plus du besoin qu’éprouvent les nations de diversifier les taxes ? Il n’est pas nécessaire de rappeler ce qui est connu de tous, à savoir que le budget britannique est alimenté aux trois quarts par l’impôt indirect. Pour préciser davantage, les douanes, qui portent presque uniquement sur le sucre, le tabac, le thé, le vin, l’alcool, le café, donnent près de 22 millions sterling ; l’excise frappe surtout sur les boissons, et donne à peine un million de moins.

Je sais quelle réponse tiennent toute prête les défenseurs du radicalisme économique et politique quand on leur cite l’Angleterre. C’est, disent-ils, un pays libre, ce n’est point un pays démocratique. Qui ne sait aujourd’hui combien est étroite et fausse l’opinion qui voit dans l’Angleterre actuelle une terre ou fleurit exclusivement le principe aristocratique ? Mais pour l’impôt il faut aller plus loin. De même que dans l’industrie ce pays, qu’on dit aristocratique, travaille pour les masses par le bon marché, tandis que la France démocratique s’applique plus spécialement aux produits beaux et chers, de même l’Angleterre est peut-être en Europe la nation qui a établi son système d’impôt sur les bases les plus démocratiques, si on entend par là le ménagement des contribuables les moins riches. L’Angleterre a laissé d’ailleurs aux sacrifices des classes aisées leur caractère facultatif et consenti. Elle s’est bien gardée d’adopter l’impôt progressif, et moins encore elle admet la théorie qui y conduit. Seulement elle a exempté les matières premières, dégrevé les choses d’utilité, mis l’income-tax sur le compte