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l’impôt, qu’il composa en vue du concours institué par le conseil-général du canton de Vaud, et qui de tous les mémoires envoyés fut le plus remarqué, il jette l’anathème sur tous les impôts, sans en excepter ceux qui n’existent que dans les écrits des radicaux ; il ne se fait aucune illusion sur la portée menaçante qu’ils ont. Déjà il avait appelé ailleurs l’impôt progressif « une jonglerie. » Il y revient, il s’y acharne ; il ne le trouve bon qu’à « alimenter le bavardage des philanthropes et à faire hurler la démagogie. » Il y voit, comme dans l’impôt proposé sur le capital, un énergique dissolvant. Il est vrai que l’efficacité redoutable de ces expédiens le calme un peu sur le manque de sincérité ou de logique des partisans de ces impôts. Il s’en exhale une odeur de destruction qui par momens semble le désarmer. Tout le monde n’a pas les mêmes motifs que M. Proudhon de voir une circonstance atténuante, pour un certain genre de taxation, dans ce fait même qu’il est fatalement antisocial. Nous poumons citer dans ce sens un aveu plus décisif encore, que nous trouvons consigné dans les annales de ce même congrès de Lausanne. Un orateur, las des ambages et des moyens termes auxquels cette théorie bâtarde prête si aisément, s’écriait, en arrachant tous les masques et tous les bandeaux : « Que craignez-vous ? L’impôt ne peut pas être trop progressif. Le plus tôt n’est-il pas le mieux pour accomplir par là dans la société un mouvement général de bascule en faveur de l’ouvrier prolétaire ? » Il est heureux qu’il se rencontre de ces indiscrets dans les congrès et ailleurs. Combien de pareils mots valent mieux que de longs discours ! Voilà enfin ce qui s’appelle poser la question et du même coup la résoudre. Qu’attendre de plus après cela ?

Cet excès de franchise ou plutôt de résolution devait effrayer les plus sincèrement modérés ; ils ne sont pas absolument insensibles à la force des objections. Ils craignent qu’un tel impôt, en frappant, en punissant les fortunes au-delà d’un certain niveau, ne décourage l’épargne et l’agglomération des capitaux, ne les fasse émigrer, n’arrête l’essor de l’esprit d’entreprise, ne ramène enfin tout à la médiocrité et à la langueur, ce qui serait l’atteinte la plus funeste portée au fonds des salaires et à la démocratie laborieuse. Le malheur est que ces modérés ne s’aperçoivent pas qu’ils sont au fond fort radicaux. L’idée radicale n’est-ce pas ici l’adoption même d’un principe de nivellement qu’on prétend étendre à toutes les taxes directes ? Un petit nombre d’économistes, malgré les progrès qu’a faits l’étude de la question, persistent malheureusement à invoquer l’autorité de quelques maîtres de la science, lesquels ont autrefois adressé un salut sympathique au principe de la progression sauf à n’en faire aucun usage. Je ne les confonds pas avec les socialistes,