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à tous le même degré de privation et de désagrément, au fond, qu’on se l’avoue ou non, c’est vouloir qu’il n’y ait plus ni riches ni pauvres ; c’est exactement comme si on voulait que le même travail ne semblât pas plus pénible aux hommes faibles qu’à ceux qui sont doués d’une robuste constitution, et, s’il s’agit du travail intellectuel, aux intelligences lentes qu’aux esprits faciles. C’est tout simplement décréter l’égalité des conditions. J’admets qu’il faille ne pas exagérer ces inégalités, qu’on doit chercher à les atténuer par des moyens justes, — toute la civilisation tend à ce but ; mais comment faire que les charges, quelles qu’elles soient, ne semblent pas plus pénibles à ceux qui ont peu ? Parti de cette idée, il faut, bon gré mal gré, qu’on aille au communisme, c’est-à-dire à un système plus rempli d’injustices que tous les autres à lui seul, à un système qui regorge d’absurdités, de hontes, et de plus incompatible avec tout progrès de l’espèce humaine. On ne saurait exiger de l’impôt de nous offrir ce qui n’est au pouvoir d’aucune institution, l’égalité de bonheur et de malheur, de plaisir ou de peine. Quand même on aurait résolu la question économiquement parlant, on ne l’aurait pas résolue moralement. Il n’y a pas de mesure pour la sensibilité comme nous avons une mesure des forces dans le dynamomètre. L’avare s’affligera de payer le plus petit impôt, l’homme facile et généreux s’acquittera sans peine d’une lourde taxe ; le prodigue se contentera de rire de ce qui fera pleurer son voisin parcimonieux. On veut égaliser la facilité « psychologique » de payer l’impôt ; en vérité, c’est abuser de la psychologie ! À force de vouloir être profond, on devient insaisissable. Ce n’est pas en rendant sentimentale une question aussi positive qu’on peut se flatter de la résoudre.

En dépit de ces nouveaux raffinemens de la théorie, laissons aux choses leur vrai nom. « L’impôt progressif, impôt de jalousie et non d’équité ; » qui a dit cela ? Un homme qui fut une des illustrations du parti républicain, Armand Carrel, répondant à la nouvelle déclaration des droits de l’homme, déclaration presque communiste d’une société qui fit du bruit en 1832, et dont le chef était M. Godefroy Cavaignac, le frère de l’illustre général, qui devait se montrer si éloigné lui-même de ces thèses antisociales. Armand Carrel ajoutait que l’impôt progressif dérivait de l’absurde idée qu’un riche dévore la substance de plusieurs pauvres. Veut-on un témoignage pris dans les rangs mêmes du socialisme révolutionnaire ? Personne mieux que Proudhon n’a saisi les affinités de l’impôt progressif avec le communisme. Il y trouve une de ces occasions qu’il laisse rarement échapper de dire des injures à ses amis, injures qui ne sont trop souvent que de dures vérités. Dans le livre sur