Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épousa Plathané, la veuve du sophiste et rhéteur Hippias. Elle avait trois enfans de son premier mari ; Isocrate adopta le plus jeune, Apharée : il ne pouvait mieux choisir. Dans cette maison où il allait chercher les soutiens de sa vieillesse, on avait déjà le culte de la rhétorique. Apharée paraît avoir été pour Isocrate un fils respectueux et dévoué. Il représenta en justice son père adoptif ; il eut le crédit de lui épargner par son éloquence une de ces triérarchies auxquelles on prétendait l’astreindre. Après la mort de l’orateur, il se fit l’éditeur et le commentateur de ses ouvrages.

Ce devait être pour Isocrate un allégement aux misères de l’âge que de se voir entouré des soins affectueux d’une femme et d’un fils si bien préparés à l’aimer et à l’admirer. Il pouvait aussi s’estimer heureux entre tous de conserver si tard toutes ses facultés sans qu’elles eussent sensiblement baissé. Bien peu d’hommes peuvent encore, à plus de quatre-vingt-dix ans, cultiver les lettres et faire œuvre d’écrivain. Malgré tant de raisons de bénir la destinée, ses dernières années paraissent avoir été tristes. Toute la gloire que lui avaient procurée ses écrits ne l’avait pas encore consolé de n’avoir jamais pu parler en public ; il souffrait des succès retentissans qu’obtenaient à côté de lui des hommes qu’il affectait de mépriser, les Eschine, les Hypéride, les Démosthène. Ce n’est pas tout : il se croit environné d’envieux et d’ennemis, dont les uns l’attaquent-ouvertement, tandis que les autres, plus perfides et plus dangereux, le déshonorent en se couvrant de son nom et en pillant ses ouvrages ; ce sont ces sophistes, comme il les appelle lui-même, contre lesquels il a écrit un discours tout plein d’amertume et de mauvaise humeur. Quoi qu’il en ait dit, la postérité se refuse à voir en lui autre chose que le plus brillant et surtout le plus honnête des sophistes. Enfin il est une dernière souffrance qu’Isocrate n’avoue point, mais dont nous pouvons nous faire une idée, connaissant son patriotisme et sa loyauté : dans le cours de ces longues insomnies auxquelles sont condamnés les vieillards, il dut souvent se prendre à douter de Philippe, ce terrible vainqueur dont il avait garanti avec tant d’apparat les intentions pacifiques et le désintéressement. Pourquoi le roi rendait-il la tâche si difficile à ses amis ? Comment expliquer, comment justifier la destruction d’Olynthe, l’occupation des Thermopyles, la ruine et l’incendie promenés dans toute la Phocide ? Philippe ne le laissa pas longtemps dans l’embarras. En 338, ramené dans la Grèce centrale par une nouvelle guerre sacrée, spécieux prétexte que lui offrit la complicité d’Eschine, le roi saisit tout d’un coup Élatée et marcha sur l’Attique ; si Thèbes, sur laquelle il croyait pouvoir compter, ne lui eût, à la voix de Démosthène, barré le passage, il était en peu de jours au pied même de l’Acropole. Quelques semaines plus tard, la supériorité de