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n’y avait donc guère d’autre parti à prendre que d’accepter les faits accomplis : c’est ce que conseille Isocrate et ce que l’on résolut ; mais que nous voilà loin du Panégyrique et de ses patriotiques ambitions ! Ici Isocrate demande qu’Athènes renonce à toute idée de suprématie ou même d’influence extérieure ; il lui suffit qu’Athènes vive tranquille, gagne de l’argent, et jouisse en paix de son ancien renom ; il veut lui faire prendre sa retraite. Ce sera, si l’on peut ainsi parler, une grande cité honoraire. Pour sauver les apparences et déguiser ce qu’il y a de fâcheux dans cette sorte de démission à laquelle il convie ses concitoyens, Isocrate leur présente, il est vrai, des espérances et leur fait des promesses. « Ce que nous ne pourrions reprendre aujourd’hui, leur dit-il, sans la guerre et sans beaucoup de dépenses, nous l’obtiendrons aisément par des ambassades. Ne croyez pas en effet que Kersoblepte veuille faire la guerre pour la Chersonèse ou Philippe pour Amphipolis, lorsqu’ils verront que nous ne convoitons plus rien de ce qui appartient à autrui. » Se représente-t-on Philippe touché du désintéressement d’Athènes, saisi d’une généreuse émulation et n’aspirant plus de son côté qu’à s’abstenir du bien d’autrui ? Si nous ne savions qu’Isocrate parle toujours sérieusement, qu’il n’a jamais plaisanté de sa vie, nous croirions qu’il se moque ici des Athéniens, ce « peuple de gobe-mouches, » comme les appelait Aristophane, ces gens d’esprit auxquels on faisait croire tant de sottises. N’ayant pas la ressource de cette explication, il nous faut bien admettre qu’il y a ici une candeur honnête qui frise la niaiserie.

Les Athéniens, comme le désirait Isocrate, se décidèrent à laisser Chios, Rhodes, Cos et Byzance se détacher de leur alliance ; ils restèrent, par le traité qui mit fin à cette lutte, si isolés et si affaiblis, qu’ils ne pouvaient plus guère inspirer d’ombrages à leurs voisins. Cette résignation ne pouvait manquer, selon le publiciste grec, de désarmer le jeune et ambitieux souverain qui était monté en 359 sur le trône de Macédoine. Tout au contraire, elle ne fit que l’encourager à beaucoup oser contre Athènes. En quelques années, il avait créé la phalange, et s’était donné une armée nationale de 30,000 hommes qu’il tenait toujours en mouvement et en haleine. Il avait pris, Amphipolis, l’éternel regret d’Athènes, et, malgré ses belles promesses, il l’avait gardée ; il avait enlevé aux Athéniens eux-mêmes Pydna et Potidée. Entre lui et la mer, il y avait encore Olynthe et les trente-deux villes dont se composait la confédération qu’elle présidait, — une ligue semblable à ce que sera plus tard la ligue achéenne ; Philippe avait emporté Olynthe, secourue trop tard par Athènes. Déjà maître de la Thessalie, il avait, sous couleur de venger le dieu de Delphes, outragé par les Phocidiens, surpris les