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c’est que tous ceux qui ont part aux affaires publiques doivent sans retard travailler à réconcilier Athènes et Sparte. Qui donc en Grèce se refuserait à suivre leur exemple et resterait en arrière quand elles marcheront pour venger sur les Perses tant d’injures et de hontes, pour affranchir les Grecs d’Asie ? Ce qu’Isocrate ne dit pas, c’est à quelles conditions pourrait se conclure cette alliance si nécessaire ; il a plus de goût pour les considérations générales que pour le détail et la pratique. Son idée, c’était celle qui fut alors parfois mise en avant comme projet de transaction, le partage du commandement entre Sparte et Athènes, celle-ci, puissance maritime, prenant en main toutes les forces navales de la Grèce, et Sparte, qui valait surtout par sa redoutable infanterie, disposant de l’armée de terre. Une pareille combinaison pouvait paraître juste et sensée, mais qu’il eût été difficile de passer à l’exécution ! On ne l’essaya même jamais.

Déjà en 376, dans un discours dont nous n’avons conservé qu’un fragment, Lysias, à Olympie, avait donné aux Grecs assemblés des conseils analogues ; il leur avait signalé avec éloquence les dangers dont les menaçaient leurs divisions intestines. Nous savons que le Panégyrique fut publié en 380, c’est-à-dire la première année de la centième olympiade ; n’est-il pas naturel de croire que la fête olympique fut aussi l’occasion choisie par Isocrate pour offrir à l’admiration des Grecs l’ouvrage auquel il travaillait depuis dix ans ? Dès ses débuts, il avait rencontré, nous l’avons vu, la concurrence de Lysias, auquel Platon le préférait, mais qui l’avait emporté sur lui au barreau. Voulant prendre sa revanche sur un terrain où il ne croyait point avoir de rivaux, celui de la philosophie politique et des hautes considérations d’intérêt général, Isocrate, que ses scrupules excessifs d’artiste et la lenteur de son minutieux travail avaient mis en retard, dut au moins tenir, s’il n’arrivait pas le premier, à venir figurer sur la scène où Lysias avait brillé ; il dut tâcher de le faire oublier par les auditeurs même qui avaient applaudi cet autre panégyrique. L’antiquité tout entière nous atteste le succès obtenu par l’œuvre d’Isocrate ; à peine publiée, elle devint, pour tous ceux qui professaient ou étudiaient la rhétorique, une sorte de modèle classique. On fut unanime à en admirer le style noble et soutenu, l’art avec lequel y étaient enchaînées les pensées, la propriété des termes, la science du nombre oratoire, l’harmonie d’une prose presque aussi douce à l’oreille que la poésie. On ne voit pourtant pas qu’au premier moment l’œuvre nouvelle ait remué les âmes autant que l’avait fait l’éloquence plus passionnée de Lysias ; elle n’amena rien de semblable à ce soudain mouvement de colère qui souleva la foule quand, après avoir entendu la harangue de Lysias, elle infligea aux ambassadeurs de Denys le Tyran