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de Platon une profanation analogue à celle que les premiers chrétiens réprouvèrent sous le nom de simonie. Isocrate, qui se piquait de ne pas être un rhéteur comme les autres et d’enseigner la vertu en même temps que l’art de bien dire, se souvint-il en effet des scrupules du maître ? Éprouva-t-il d’abord quelque embarras en recevant la rétribution que lui apportèrent ses premiers disciples ? Toujours est-il que ce sentiment, s’il a jamais existé, ne dura guère : nous voyons plus tard l’orateur tirer vanité du prix auquel on paie ses leçons et ses discours, ainsi que du grand nombre de ses auditeurs. Sans être avide, on s’habitue aisément à gagner beaucoup d’argent.

On ne sait pas combien de temps demeura Isocrate à Chios ; quand il en revint au bout de quelques années pour se fixer à Athènes, son enseignement était célèbre dans la Grèce entière. Tous ceux qui aspiraient à la gloire de l’éloquence se croyaient obligés de passer par son école. Un grammairien, Hermippos, composa vers la fin du siècle suivant un ouvrage en plusieurs livres, aujourd’hui perdu, sur les disciples d’Isocrate. On connaît les noms des plus remarquables d’entre eux : ce furent, parmi les historiens, Éphore, qui du temps de Philippe disputa la palme à Théopompe, autre élève d’Isocrate, et Androtion, orateur et politique peu estimable, si l’on en croit Démosthène, mais l’utile auteur d’une Atthide ou histoire de l’Attique qui précéda celle de Philochoros ; ce furent, parmi les poètes, Asclépiade et Théodecte, dont on avait des tragédies, parmi les sophistes, Lacritos, riche Lycien domicilié à Athènes, contre lequel est dirigé un plaidoyer conservé dans les œuvres de Démosthène, parmi les orateurs, Léodamas, dont le nom se rencontre assez souvent dans la première moitié du IVe siècle, et Lycurgue, en qui Athènes trouva son meilleur ministre des finances et l’un de ses plus grands citoyens. Ce fut aussi à l’école d’Isocrate que se forma ce Python de Byzance qui mit au service de Philippe son talent de style et de parole. Directeur de ce que nous appellerions la chancellerie macédonienne, c’était lui qui rédigeait les manifestes du roi et ses dépêchés ; il eut aussi l’honneur, comme ambassadeur de Philippe, de lutter à la tribune, dans plus d’une cité grecque, contre Démosthène. On citait encore Isée et Hypéride ; mais, pour ces deux orateurs, le biographe ne mentionne leurs noms qu’avec une certaine hésitation. Quant aux anecdotes qui mettent Démosthène en rapport avec Isocrate, elles paraissent toutes plus que suspectes. Plutarque, dans sa vie de Démosthène, nie d’ailleurs d’une manière formelle qu’Isocrate ait jamais été le maître du grand orateur. Ce qui est certain au contraire, c’est qu’Isocrate trouva dans l’un des plus renommés capitaines qu’eut