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impopulaires, s’ils imposaient à leurs troupes sans nécessité absolue un trop long exil et en même temps une résidence désagréable dans un pays où elles sont considérées comme ennemies. En outre il peut surgir chaque jour de cette cohabitation forcée des conflits très graves, autant d’étincelles qui risquent de rallumer la guerre. Il n’est pas prudent, même pour un vainqueur, de s’exposer à la vengeance immédiate, à l’exaspération du vaincu ; c’est tenter de nouveau la fortune. Il est impolitique, quand on a obtenu ce que l’ambition la plus avide n’aurait jamais osé rêver, d’entretenir les animosités nationales, de les envenimer, et de préparer ainsi de ses propres mains les élémens d’une guerre nouvelle. Les gouvernemens n’ont pas intérêt à courir de tels risques. Ce que doit faire le vainqueur en pareil cas, c’est de s’éloigner au plus vite, avec la certitude qu’il ne sera pas oublié.

Les autres nations, si indifférentes qu’elles aient pu demeurer pendant la lutte, ne tardent pas à ressentir les conséquences de l’occupation militaire qui confisque, pour ainsi dire, un territoire. Les relations commerciales sont interrompues ou pour le moins singulièrement gênées. Le progrès des lois et le perfectionnement matériel des communications ont établi entre tous les marchés, des rapports solidaires qui ne permettent plus que l’un souffre sans que l’autre soit atteint. Le monde entier a ressenti le contre-coup de la grande guerre de la sécession aux États-Unis. De même la guerre de 1870 a causé en Europe de violentes secousses qui ont ébranlé les principaux marchés, et, tant que l’occupation militaire se prolongera sur le territoire français, il y aura pour certaines branches d’industrie un véritable malaise. Les gouvernemens européens sont donc très intéressés pour leur propre compte à ce que cet état de choses prenne fin. Ils sauraient mauvais gré à l’Allemagne, si elle abusait du droit d’hypothèque qu’elle s’est réservé, et si elle tardait à rendre à la circulation générale les sources de travail et de capitaux qu’elle retiendrait inutilement captives. L’Allemagne elle-même gagnerait beaucoup plus à envoyer dans les Vosges, dans la Marne, dans les Ardennes, des commis-voyageurs que des soldats.

Ce n’est point la première fois que la France est livrée à l’invasion étrangère. Après avoir été nous-mêmes de terribles envahisseurs et d’orgueilleux conquérans, nous avons été envahis et conquis. Nous avons déjà en d’autres temps subi la peine du talion, et la somme de nos malheurs a presque égalé celle de nos gloires. Notre passé, qui contient, on peut le dire, toutes les fortunes, tant de succès et tant de revers, présente, de 1815 à 1818, une situation analogue à celle qui nous est faite aujourd’hui. N’hésitons pas à relire cette page néfaste de notre histoire pour y puiser d’utiles