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dirigé Libanius et où Chrysostome était devenu un grand homme.

En quittant les bancs, il se retira dans le monastère d’Euprèpe, à quelques milles d’Antioche, pour y étudier en paix les ouvrages des pères et s’exercer à la pratique de la vie cénobitique : c’était le noviciat de ceux qui se destinaient à l’église et à la prédication ; mais Nestorius n’aimait ni les mortifications, ni la pauvreté, dont il avait fait de bonne heure un trop rude apprentissage, et qu’il se hâta de rejeter loin de lui dès qu’il le put. Quant à l’exégèse des pères, elle le rebuta par son aridité : l’esprit facile, mais superficiel du néophyte ne se pliait pas aux travaux longs et sérieux ; l’art oratoire était son génie, du moins tel qu’on le cultivait alors soit sur le forum des villes, soit dans l’enceinte des églises. Il possédait d’ailleurs une belle prestance, une voix pleine et sonore, et sa figure naturellement pâle et ascétique, son regard lumineux et profond, donnaient à toute sa personne quelque chose de ce qui constitue l’orateur dans tous les temps. Ces qualités extérieures déterminèrent sa vocation. Il prit en dédain l’étude solitaire et patiente, et ne se cacha pas pour le montrer. A propos de l’exégèse et de la science des canons, qui devenaient de plus en plus indispensables à mesure que la doctrine ou les conciles accumulaient leurs solutions, on entendit Nestorius dire plus d’une fois que, dans l’interprétation des livres saints, il ne faisait pas plus de cas des morts que des vivans. Les vivans s’en vengèrent bien, et les morts encore davantage. Un auteur du temps le peint en deux mots : « il avait assez d’éloquence et peu de jugement. »

Entré dans les ordres, il fut chargé par l’évêque d’Antioche des catéchèses ou instructions aux fidèles de son église, emploi qu’avait jadis occupé Chrysostome et où il avait gagné sa réputation : Nestorius y gagna la sienne. La foule se pressait à ses homélies, où l’indigence de l’argumentation se déguisait sous la cadence des phrases et l’appareil théâtral de la figure et de la voix. Au fond, il obtint un succès mérité dans ce genre d’éloquence sans contradiction, où l’orateur n’avait à compter qu’avec lui-même : sa vive imagination saisissait les choses avec promptitude et les rendait avec éclat ; malheureusement ses succès lui apprirent à ne douter ni de sa parole, ni de son savoir. Il était donc pour l’Orient un orateur en renom lorsqu’il reçut la lettre de Théodose qui l’appelait au siège épiscopal de Constantinople ; Nestorius accepta, mais en acceptant il crut de sa dignité de faire attendre la ville impériale et l’empereur. L’histoire nous dit qu’il mit trois mois pour se rendre d’Antioche à Constantinople en traversant l’Asie-Mineure, ce qui n’était assurément pas la route la plus courte : il n’était pas fâché qu’on lui supposât des hésitations. Dans ce voyage, il fit halte à Mopsueste, petite ville située sous le plateau occidental du Taurus ;